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20 mai 2011

"Difficile d'être un homme, il faut en avoir envie", Feu Follet de Drieu la Rochelle

Je n'ai plus quinze ans, je devrais avoir parfaitement assimilé certains fondamentaux qui permettent à l'homme devenu adulte de s'éloigner des brumes de la rêverie romantique de son adolescence. Mais qu'en est-il en réalité ? Je relisais la nuit dernière "Feu follet" de Drieu la Rochelle. Il y a dans la bibliothèque de mes parents au château tous les romans de cet écrivain dont les choix pendant la guerre ne furent pas les bons. Comme Brasillach et d'autres, la peur du bolchévisme, la conscience d'un monde qui se précipitait vers une barbarie qui mettrait tôt ou tard à mal les valeurs de notre civilisation, la laideur du prolétariat suant et luttant comme le mettait en avant les soviétiques, tout les poussa dans les bras des nazis. Dieu que le piège était gros. facile à dire des années après : la beauté de l'ordre nouveau fascinait ces artistes brillants pétris de valeurs puisées dans les écrits des penseurs grecs et romains. Le défilé de ces jeunes dieux blonds laissait croire à l'avènement d'une civilisation de la beauté et de l'esthétique... Mais je ne suis pas là pour dresser une défense de la collaboration des intellectuels au fascisme, ni pour les défendre ou les accabler. Drieu a laissé une œuvre magnifique que son suicide a laissé inachevée. "Feu follet" m'a interpelé. Cet homme-enfant qui se détruit parce qu'il prend conscience qu'il ne sera jamais adapté au monde des adultes ni aux valeurs qui s'y déploient. Drieu La Rochelle n'était pas amateur de garçons, sauf à savoir en ressentir la beauté, il n'avait d'attirance physique, de pulsion sexuelle que pour les jeunes filles. Les femmes de ses romans sont de belles femmes juives, des jeunes femmes de la grande bourgeoisie ou de l'aristocratie, fières ou décadentes. Mais comme chez Montherlant, Gide ou Mauriac, la beauté des garçons traverse ses livres.

Revenons à la pensée que ce matin me tarabuste. Je suis encore jeune, plus un jeune homme mais un homme jeune. Enfin selon ce que je fais ou ce que je porte. Dans la tenue de trader efficace et rationnel, costume Tom Ford en super 100, mocassins Ferragamo de chez Saks, cravate Hermès et pochette blanche, je suis le mâle actif de la catégorie des décideurs posés, aux revenus très largement supérieurs à ceux de la moyenne. Quand je pars sortir Brinkley dans 91st St. Garden à Riverside Park, en bermuda et polo, je redeviens l'adolescent au look peu soigné les cheveux mal coiffés et sans complexe. On ne peut savoir si j'ai 500$ ou un seul dollar dans mon portefeuille, et je crois que les regards qui se posent sur moi n'ont pas la même signification que lorsque je marche sur les trottoirs de l'Avenue of Americas où je bosse. Pourtant je reste le même, un mec d'une trentaine d'années qui aime sa vie et qui reste celui qu'il était à 15 ans dans le bordelais, à 17 ans dans son collège anglais ou à l'université quand il avait 20 ans. Mais le temps passe et la société attend de nous que nous abandonnions le rêve qui nous porte enfant vers l'âge mûr. Combien d'entre nous parviennent à le conserver ce rêve ? Combien réussissent à ne pas se trahir ? Je vois autour de moi des dizaines de types qui compensent leur trahison par l'alcool, les relations sans lendemain, la drogue, et grâce au pouvoir que l'argent leur donne, par la consommation de biens matériels, de voyages aux Barbades, d'achats compulsifs à 3.000 $ l'objet...
Mais revenons au roman de Drieu la Rochelle. Alain, le héros est malheureux. Sa femme vientd e l'abandonner, mais le vrai malheur qui le ronge est ailleurs. Il est taraudé par une angoisse fondamentale, par un refus radical de l'âge adulte. Il vit dans une adolescence perpétuée et ne trouve rien dans le monde des hommes faits qui justifie qu'on tente de vivre et qu'on accepte de vieillir. Il se sent trop fugace pour exister en face de la pérennité des choses, des pierres, des rues, des foules... Rien de lui ne s'accroche au monde, rien ne vaut de durer.

"Difficile d'être un homme, il faut en avoir envie" dit-il. La drogue lui a permis un temps de prolonger de quelques années l'adolescence. Mais il est épuisé. Chez le héros de Drieu, l'absurde a vaincu - cette angoisse commune vieille comme l'homme, ce "spleen" terrible dont quelques uns parfois ne parviennent à se défaire qu'en mourant, le mal du siècle qui se répand depuis plusieurs siècles... Quand j'ai refermé le livre - il était cinq heures du matin - j'ai eu envie de pleurer. Pourtant ma vie ne m'apporte que satisfaction et j'aborde chaque jour avec enthousiasme. Le garçon qui dort à mes côtés est merveilleux. Il est beau, il est intelligent et il m'aime. Nos amis sont géniaux et je n'ai ni problème de santé ni ennuis d'argent, loin de là. Ma vie est un privilège que beaucoup pourraient m'envier et j'en suis conscient. Humblement. Mais j'ai parfois l'impression qu'une ombre plane au-dessus de moi qui n'est rien d'autre que la persistance de l'enfant que je fus qui portait en lui mille rêves et désirs que peu à peu celui que je suis aujourd'hui a abandonné et trahi...Lecteur, pardonne ce déballage un peu désordonné. Je vais prendre un café avec mes collègues.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Hadrianus, ton exil new yorkais ne t'empêche pas d'être aussi prolixe que ton illustre homonyme. te lire est un plaisir. Bravo.
Alain

Anonyme a dit…

Magnifique ce texte malgré que je soit encore qu'un très jeune homme qui ne peut en comprendre tout le sens.

A Shy Boy

Alphanor a dit…

Les rêves d'enfants sont ce qu'ils sont. Ils n'ont pas de limite. Nous sommes tous confrontés à la réalité et au vouloir de l'autre.
Murir, c'est sans doute accepter de ne pas réaliser ses rêves d'enfants, mais peut être aussi d'en créer d'autres, qui sont - eux - à notre portée. Ca peut être aussi de prendre plaisir à aider les autres à réaliser les leurs.