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04 février 2013

L'air du temps.


On a beau faire, ce qu'il y a de naturel et de profond en nous ne peut demeurer longtemps étouffé sous les convenances, les usages et coutumes du monde dans lequel le hasard ou l'infortune nous font vivre. On se rase, on met une cravate, on laisse passer un vieux monsieur, on ouvre la porte à une dame... Pourtant parfois on n'a pas envie de se plier aux usages. pas envie de sourire quand on est mal ou en colère. pas envie de plaire quand on enrage de se coltiner aux convenances et aux usages de l'autre, sans savoir où est la part de sincérité, ce qui est vrai de vrai dans ses gestes, comme dans ses mots... Gilles a été pendant plus de dix ans mon meilleur, mon plus tendre, mon ami le plus proche. C'était avant que je sache combien les garçons m'attiraient et il me couvrait toujours lorsque le cœur d'artichaut que j'étais tombé amoureux devant une fille. Une autre encore, la première à chaque fois, l'unique, la bonne fortune, de celles qui ne peuvent arriver qu'une fois dans la vie d'un gars... Il supportait tout, comprenait tout à demi-mot et savait se taire - bien précieux en amitié. Il était toujours là pour moi. Les années passèrent. Nous nous sommes perdus de vue. Il dirige maintenant une succursale canadienne d'une des plus grandes banques françaises. Il a pris du ventre et ses cheveux se raréfient. 


Buveur de bière, coureur bien que marié, il est à l'opposé de ce que nous fûmes adolescents. Conservateur, étroit d'esprit, râleur et bonimenteur avec les filles. Et satisfait de lui. J'ai détesté les trois heures passées avec lui à Toronto dans le meilleur restaurant de la ville. J'ai fui dès l'addition, prétextant un avion à prendre pour un rendez-vous important à New York et l'ai planté dans le hall de l'hôtel où nous avons déjeuné. Par égard pour les deux jeunes et fringants garçons que nous avons été, par égard pour cette "bromance" du temps de nos dix-sept ans j'ai camouflé mon désarroi et ma colère mais j'enrageais tout au long du repas. Ne plus jamais lui faire signe, ne plus jamais lui parler ni le voir. Combien nombreux sont ceux qui pourtant nous furent proches et emplirent avec délices notre vie d'avant et ne sont plus quand on les revoit que des pantins difformes à l'esprit vulgaire ou grossier... 

4 commentaires:

Pierre a dit…

Les idéaux de la jeunesse sont souvent enterrés avec elle – même si là, c’est plus d’un état d’esprit dont il faut faire le deuil (et je partage votre peine). Avec un certain éloignement (en distance et en temps), les attachements se dénouent, chacun suivant sa propre courbe, inexorablement, sans qu’elles puissent à nouveaux se rencontrer. En se retrouvant, on s’illusionne (inconsciemment) retrouver sa jeunesse. « Alors, qu’est-ce que tu es devenu ? » Un autre, forcément.

Hadrianus a dit…

C'est vrai, inexorablement vrai. Au-delà du physique qui finalement ne compterait pas si on avait continué de se côtoyer, il y a cette rupture avec l'avant, le temps magique de notre apprentissage de la vie. Tout était possible et le plus souvent tout a été trahi. C'est là notre plus grande responsabilité. Celle dont il faudra rendre compte au dernier jour !

David a dit…

Il ne faut jamais retourner sur les pas de son passé.

Le temps fait son œuvre et elle est souvent sinistre.

Nul ne peux être un autre Hadrien!

Moi, je me retrouve dans Alexis .

On ne connait pas son visage...

Hadrianus a dit…

Pour mon Antinoüs, je reste et demeure Hadrien et il m'aime. Pour Hadrien, Antinoüs à jamais demeure Antinoüs le bythinien aimé. Et c'est bien.