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01 janvier 2023

Firebird de et avec Tom Prior

Un film très émouvant découvert hier soir avec David. Tom Prior a beau n'avoir qu'une petite trentaine, c'est un acteur excellent et un auteur doué, puisqu'il est à l'origine du scénario. Film recommandé par Hadrianus, foi d'empereur, à 100% !

en voici le trailer sur Youtube : 

 

Et quelques photos pour donner l'ambiance esthétique. Belle qualité des images. L'anglais des acteurs estoniens ou russes est un peu pénible à entendre. En route pour un voyage dans le temps, dans l'Estonie de 1977 occupée par les Soviétiques, en pleine guerre froide, reconstitution d'un univers kafkaïen hallucinant. Les acteurs sont beaux, l'histoire est vraie. Tom Prior qui joue le personnage principal, exposé aux risques de la loi soviétique niant et punissant les relations affichées et suivies entre personnes de même sexe, spécialement dans l'armée, dans un monde de délation où tout le monde épie tout le monde au nom de la victoire du prolétariat, en a écrit le scénario et joue diablement bien. Un peu trop musculeux à mon goût, il émane de l'acteur britannique une fraîcheur et une pureté incroyables.



Et le beau Tom Prior pendant la postproduction et avec le réalisateur et co-auteur du scénario :
 

Comme deux jeunes faunes remplis d'amour

 
Quand je ferme les yeux, c'est ton ombre qui remplit mon regard. Diaphane comme hésitante, elle se précise au point que je sens ton odeur, j'entends le battement de ton coeur et le velouté de ta peau, cette chair mate, si douce dont le goût de vanille et de lilas éveille mes sens depuis notre première fois. Il y a si longtemps, nous avions à peine seize ans et l'été dans la montagne énervait nos sens. Je t'avais aperçu à la messe parmi les familles de vacanciers. Tu n'étais pas vraiment un étranger. pas plus que moi. Nos familles étaient liées depuis toujours à ce charmant petit village basque peu fréquenté par les touristes. Toi, parce que ta grand-mère qui avait longtemps vécu à Versailles s'était installée dans sa grande maison familiale sur la place, près de la mairie, et qu'elle réunissait chaque été tous ses petits-enfants. Moi, parce que nous possédions cette grande maison typique à côté du cimetière avec son grand jardin qui montait jusqu'aux bois. Nos familles se fréquentaient peu mais nous nous retrouvions sur le parvis le dimanche ou lors des parties de pelote, dans le gave aussi où nous avions les mêmes rites, les baignades, la pêche, les barrages que nous construisions et que le garde-champêtre nous obligeait à défaire pour ne pas troubler les habitudes des truites et des écrevisses qui s'y reproduisaient et risquaient de ne s'y plus retrouver. Cet été-là est gravé tout entier dans ma mémoire. 
 
 
L'image de ce garçon croisé par hasard sur Instagram pourrait être une photo de toi quand nous étions unis l'un à l'autre, le jour et parfois la nuit aussi. Tu as seulement des yeux plus beaux encore que ce garçon, deux perles de jade (ma mère t'appelait le garçon céladon) et cela nous agaçait. Mais on ne reprend pas ses parents, du moins on ne le faisait pas il y a trente ans. 
 
 
 
L'adulte que je suis devenu sait combien il doit à ces jours heureux - les derniers de l'enfance, les plus ardents de l'adolescence - et combien je te dois aussi... Tout après toi a toujours été coloré par la joie et le bonheur de vivre, d'aimer et de me savoir aimé. Aucun doute, aucun incident de vie n'a jamais ébranlé cette joie et ce bonheur. L'i=union de nos deux cœurs, celle ensuite de nos corps, les lettres échangées, les retrouvailles de plus en plus espacées par les contingences habituelles : les mutations de ton père officier, nos études... Et puis, un océan nous a séparé et nous ne nous sommes jamais plus revus, sauf à ton mariage et une fois, par hasard à Bordeaux. Je vivais déjà depuis quelques années aux États-Unis et venais de quitter l'université, diplômes en poche. Tu finissais cette grande école d'ingénieur en Belgique. Avec la joie des retrouvailles, remonta aussi le souvenir de ces moments d'extrême intimité où nos corps, avec nos âmes, étaient tendrement unis.
 

Je ne me permettrais pas de publier sur ce blog, même s'il y a peu de risques que quelqu'un nous reconnaisse, les photos que j'ai gardées de toi, de nous. Celle où nous baignions dans le gave avec d'autres garçons, nus comme des vers et riant aux éclats. Tu me tiens par le cou et moi par la taille. Nous sommes beaux, bronzés, bien fichus, sportifs et l'adolescence nous embellissait, ou plutôt le fait de passer le plus clair de nos vacances dans la nature, à nager, courir, jouer au tennis ou à la pala, nous faisait une adolescence saine et virile.

Cette autre image d'un jeune couple d'influenceurs très à la mode sur les réseaux sociaux américains, Nick et Pierre, un jeu d'ombre à la Cocteau qui montrerait deux jeunes faunes me parle aussi. C'était au château où tu étais venu passer un long week-end de Pâques. 

Nous avions dix-sept ou dix-huit ans et si notre amitié était connue et acceptée de tous, nos parents, proches après tous ces étés passés en voisins dans le même village basque, nous voyaient comme deux frères et nos siblings nous appelaient les "inséparables-drôles-de-zoziaux". Le deuxième soir, les adultes, invités je ne sais où, nous avaient laissé à la maison pour garder mes sœurs plus petites. Après dîner, les petits couchés, nous étions montés dans ma chambre. Notre désir s'était fait ardent toute la soirée et nous ne pensions qu'à nous retrouver dans mon lit. Nous avions un peu bu et fumé des cigares de mon grand-père... Je ne sais plus lequel de nous deux eut cette idée saugrenue de vouloir jouer à nous poursuivre et à cache-cache dans le château... C'est une vaste demeure, une de ces grosses maisons de campagne construites au milieu des vignes juste avant la Révolution, remplie de coins et de recoins, d'escaliers et de petites pièces cachées. Nous étions en chaussettes, tu ne portais qu'un slip moulant qui m'excitait, j'avais enfilé le bas de mon pyjama. On joua comme des gamins à glisser sur les dalles et les planchers cirés. Nous poursuivant à travers les couloirs et les pièces de réception du premier étage, nous avons parcouru dans toute la maison, en évitant de faire du bruit pour ne pas réveiller les filles ni attirer l'attention de Rosette et René, les deux vieux domestiques de la maison dont l'appartement donnait sur la grande cuisine.

Essoufflés, ivres de désir et d'alcool, nous avons fini par nous retrouver face à face dans le grand escalier, sur le palier du premier étage et jetés l'un contre l'autre, après un long baiser qui durcit nos sexes et nous laissèrent haletants, ton slip et mon pyjama volèrent par-dessus la balustrade pour atterrir aux pieds de nos parents qui rentraient... Mon père leva la tête et aperçut dans la pénombre deux gaillards visiblement nus. Ma mère intriguée alluma la lumière de l'escalier sans comprendre. Soudain l'ombre de nos deux corps projeta sur les lambris, nos formes exagérément déformées, nos sexes dardés et décalottés comme ceux de deux priapes en rut. Papa eut le réflexe d'éteindre la lumière avant que ma mère ne lève les yeux... Il éclata de rire, comprenant que les deux petits diablotins étaient devenus des hommes, humant les vapeurs de cigares et voyant par la porte entrebâillée de la bibliothèque, les flacons restés ouverts et deux verres sur la table devant le canapé, il perçut notre exhibitionnisme comme un jeu innocent de deux jeunes gaillards dont la paillardise avinée respirait la force, la joie et la vie (et mille promesses).

 

Ce n'est que longtemps après, quand j'annonçais à ma famille, ma préférence incompressible pour les gens de mon sexe et mon intention de vivre le restant de mes jours avec le garçon que j'avais invité à fêter Noël chez nous, qu'il réalisa ce qu'il avait toujours su au fond de lui, et qui l'avait peut-être travaillé lui-même au même âge que moi, ce désir des garçons, désir d'un autre soi-même, le désir de Narcisse viabilisé, réalisé, consommé... Il me rappela en souriant l'ombre projetée des deux faunes sur les boiseries du grand escalier et son fou rire d'alors...

29 décembre 2022

Jeune félin, lectures et Good Riddance Day

L'année s'achève et le temps de Noël est terminé. Avec le froid qui nous est tombé dessus depuis quelques jours, la vie semble chaotique. Bien au chaud et tranquilles chez les parents de David, nous avons été témoins de choses incroyables avant de nous réunir devant leur splendide cheminée, à côté d'un énorme sapin joliment décoré comme à l'accoutumée. Mais le Good Riddance Day est passé par là. C'est devenu une habitude, depuis 15 ans, on se débarrasse des mauvais souvenirs, de mauvais moments de l'année qui s'achève. La foule, en dépit du froid, s'est retrouvée une fois encore sur Times Square et ailleurs pour fouler aux pieds les évènements qui les ont marqués en 2022. 
 
Parmi les nombreux livres trouvés sous le sapin, acheminés assez tôt pour ne pas être bloqués ni en douane ni par la gigantesque tempête polaire, il y avait ce texte de Mathieu Lindon sur Hervé Guibert que je commence, un verre de vin à la main. 
 
Dix jours de vacances, l'impression de vivre à la française depuis quelque temps. Nostalgie ? Simplement les hasards du calendrier, de beaux dossiers conclus et une équipe de collaborateurs efficaces. Tout ce qui me permet de lever le pied. Vacances en famille puis une petite semaine au Mexique et le retour au bureau et ensuite un court passage à Londres, puis visite à mes parents en France, quelques jours en Suisse pour faire du ski et le retour à la maison.
 
Guibert me fait penser à la photographie et particulièrement aux tirages en noir et blanc. J'avais quand j'étais lycéen, hérité de l'agrandisseur d'un de mes oncles qui me l'avait offert. Il était installé dans une petite pièce dans un coin du chai de la propriété. Il m'avait appris à doser les produits, à choisir les papiers et j'ai passé des heures dans ce labo à choisir parmi les négatifs l'image qui deviendrait une œuvre d'art. Plus tard, devenu étudiant j'ai découvert la galerie d'Agathe Gaillard et de son fils, rue du Pont Louis-Philippe à Paris, là même où Hervé Guibert avait exposé et d'autres photographes célèbres. Le Noir et Blanc, la Rolls-Royce du tirage argentique. J'ai grandi avec les images de Bruce Weber, de Mapplethorpe. Le numérique est pratique, rapide, don,ctionnel, mais rien ne remplacera jamais la qualité, le grain, la finesse des tirages argentiques, manuels, soignés, peaufinés.
 





27 novembre 2022

Ton regard qui soudain plongea dans le mien (suite et fin)

 

... Je me souviens de chacun de nos gestes de cette première fois tant désirée et tant de fois remise... Je me souviens quand il prit ma tête de ses deux mains la haussant jusqu'à ses lèvres, couvrant de baisers mon visage mouillé par la sueur, se plongeant jusqu'aux yeux dans ma chevelure touffue... Entraînés par ce jeu haletant, nous nous sentions chacun à la fois envahi et dominant. La vie bouillonnait en nous, plus forte que jamais, avec son goût de sueur et de sang. Comme si d'avoir si longtemps attendu, hésité avait accru en nous, jusqu'à la folie, le goût de jouir. Ce moment d'amour tendre et violent en même temps était la célébration et l'accomplissement de notre jeunesse, de la virilité de nos jeunes corps, la démonstration de notre force et l'explosion d'une évidence pressentie jaillissant enfin dans le plaisir partagé.

Une grimace de désir intense, presque méchant élargit la figure de Mark, il souhaitait que je le possède. Il retenait son souffle, m'interrogeait du regard. Nous avions à plusieurs reprises évoqué nos visions du sexe, de nos envies et de nos expériences. J'ai toujours été réticent face à la pénétration. Par atavisme religieux peut-être, elle me paraissait naturelle avec la femme, puisque nos corps différents et complémentaires ont été créés pour la reproduction, pour donner la vie et assurer notre immortalité. Pénétrer un garçon, jouir dans son cul ou dans sa bouche ne m'est pas naturel. La souffrance pour celui qui est pénétré, si elle laisse physiologiquement rapidement la place au plaisir, n'en demeure pas moins pour moi une grande violence contre-nature ou anti-nature. Mark, élevé dans la rigueur méthodiste, partageait mes réticences. Nous avions chacun eu des filles, apprenant à chaque fois un peu mieux les besoins et les réactions de cette partie de notre corps dont on ne parle pas, qu'on cache mais que tous les garçons vénèrent autant qu'ils la rejettent et souhaitent l'oublier, surtout dans les débuts, lorsque l'éros s'empare de nous. Nous n'avions jamais connu la sodomie, "ni top ni bottom" était notre credo. Notre définition de l'amour physique... 

 

Mais ce soir-là, dans cette petite chambre du campus, nos corps aimantés s'ouvraient à tout, tellement fort était notre désir de l'autre. Je cherchais mon chemin. Je souris à mon tour et dans une longue embrassade, les mollets de Mark appuyés sur mes épaules, de tout mon poids, de toute ma dureté onctueuse, je pénétrais en lui. Mais ce fut lui qui, comme une femme, conduisit la bestiale oscillation des corps, ralentissant le rythme en retenant mes hanches ou l'accélérant suivant son exigence, jusqu'à l'instant où nos têtes volèrent en éclat. Il poussa un long gémissement et notre jouissance éclata en même temps... après les Doors, la musique qui accompagna l'explosion heureuse de notre première fois venait d'un vieux disque que Mark avait pris chez ses parents, "Accentuate the positive" interprété par les Andrews Sisters... leurs voix accompagnèrent souvent - et accompagnent parfois encore - nos jeux amoureux.

Bon dimanche à mes lecteurs francophones et aux anglophones d'ici et d'ailleurs. Gardez précisément le souvenir de vos premières fois. Cela console un jour, cela aide toujours à ne jamais cesser d'aimer, à résister à l'idée qu'il y a toujours mieux que ce qui nous est donné.


 

Ton regard qui soudain plongea dans le mien

 
 
"Ohne mich, ohne mich jeder Tag dir so bang ; Mit mir, mit mir keine Nacht dir so lang " (“Without me, without me, Everyday's misery ; But with me - am I wrong ?  No night is too long !”). Ces paroles de la fin de l'acte II du Chevalier à la Rose de Richard Strauss, m'ont rappelé soudain le livre de Barbara Vine (Ruth Rendell) qui les fait dire à Tim, le héros de son roman "No night is too long", joué par Lee Williams dans le film éponyme réalisé en 2002 par Tom Shankland. 
 
 
C'est tellement vrai cette phrase. Aucune nuit n'est trop longue quand je suis avec toi ou mieux, quand tu es avec moi. Si on disait les nuits sont trop courtes quand nous sommes ensemble, ce ne serait pas pareil. Il y aurait comme un regret, la conscience que notre plaisir, l'amour qu'il entretient, tout cela passe trop vite. Comme la vie qui passe. Aucune nuit n'est trop longue exprime avant tout la certitude que sans l'aimé, on ne peut vivre bien, on dort mal. On se retourne dans son lit, la place vide et froide à côté de nous dans le lit... Ensemble, nous dormons, nous nous aimons et souvent le petit matin jaillit et les premiers rayons du jour éclairent nos deux corps enlacés, chauds encore du combat amoureux...

Parfois, au début de notre liaison, quand nous ne vivions pas encore ensemble, que Mark partageait une piaule sur le campus de son université avec Leonard puis avec Vince et que j'occupais l'appartement du sixième, petit, débordant de livres et de disques, nos nuits communes étaient un évènement, une fête illuminée par la passion. Nous nous retrouvions les week-ends où Mark ne rentrait pas chez ses parents à Baltimore, souvent aussi, il me rejoignait chez moi. Le concierge avait compris qui nous étions l'un pour l'autre et son sourire complice nous amusait. Puis j'avais donné une clé à Mark. C'était rarement pour la nuit. Plutôt l'après-midi. Nous sautions des cours où lors d'un entraînement terminé plus tôt. Il était soudain devant moi, avec son sourire magique et nous nous aimions jusque tard dans la soirée... Au début, je le rejoignais sur le campus. Il me prévenait quand son room mate était absent. Leonard rejoignait souvent sa Lisa sa petite amie de l'époque - devenue sa femme depuis -  dans sa chambre à Barbnard. Je me souviens de notre première fois. La chambre, pareille à un décor de films pour adolescents, des livres partout, des fanions de l'Ivy League, le plaid écossais sur le lit, les posters... Mark avait posé un t-shirt bleu sur l'abat-jour près de son lit et mis des bougies sur le bureau... En d'autres cas, d'autres lieux, j'aurais trouvé tout cela un peu outré, voire ridicule... Trop souvent les amours viriles refusent de s'encombrer de fanfreluches. Ni Mark ni moi ne sommes du genre "pussy", "bugger" ou "friends of Dorothy". La tendresse éprouvée l'un pour l'autre n'a jamais étouffé notre virilité. Un ami parisien, très féminin, qui parle d'un de ses nombreux fiancés - caricature ou archétype du gay des années 2000 - en disant "ma femme" ou "mon mari" selon les circonstances, me reprochait d'aimer les garçons comme un boy-scout. Je revendique, même à quarante ans passés ! Tendresse, sensualité mais virilité toujours. 

D'où notre difficulté à comprendre le discours victimaire anti-amour des LGBT and co d'aujourd'hui. Leur doxa imposée : non seulement le placard est une honte, une injure faite aux homos qui s'assument et souffrent parfois le martyre, mais l'attirance pour les personnes du même sexe induit que l'attiré est une anomalie puisque sa vraie nature est féminine. Il doit donc de considérer ni mâle ni femelle, mais autre ou pire, il est une femme, donc il doit envisager de se faire opérer... Je sais, je caricature. Pourtant, cette obsession de la déconstruction et cette obsession de sacraliser la victimisation semble nous conduire dans le mur, celui que dressent la haine et l'hypocrisie...

Mais revenons à notre première fois, complète, sur le campus de Columbia... Tu m'attendais, assis sur ton lit. A peine revenu de la douche, simplement vêtu d'un slip blanc et d'un t-shirt. Tu essuyais tes jambes où couraient encore quelques gouttes d'eau ; tes cheveux mouillés bouclaient et te tombaient sur les yeux. Quand je suis rentré, tu as levé les yeux et tu m'as souri. Ce sourire, je le vois chaque jour plein de fois mais c'est toujours un bonheur de sentir qu'il m'est adressé et qu'il me dit mille mots d'amour... J'avais devant moi l'Amour et la Beauté !

- Que me vaut l'honneur ? Me lança-t-il en clignant des yeux. - Je t'aime ! lui ai-je dit. J'en suis malade ! Vite, guéris-moi ! Pathétique ce romantisme de midinette, ai-je pensé mais nous étions très jeunes et très amoureux. Nous le sommes encore. 
 
 
Il s'est levé et m'a enlacé. Je lui ai pris la bouche. De ce point de jonction, par nos lèvres unies, des vibrations électriques se répandirent en nous et nous firent vibrer comme jamais auparavant. Au bout d'un moment, je me suis écarté et me suis déshabillé. Lui, sans me quitter des yeux, arracha son t-shirt avec une sorte de rage, comme si le mince tissu de coton eut été une convention dont il était pressé de se dépouiller pour surgir enfin devant moi dans sa vérité animale. Le slip traversa la chambre dans un vol de mouette pour atterrir sur la commode. Un homme un instant immobile face à un autre homme nu, l'un blond l'autre brun. Tous deux royaux, impudiques, les bras ouverts, les jambes écartées. Mes yeux étaient fixés sur Mark, sur son cou et ses épaules, sur son bas-ventre marqué d'une toison blonde, avec une corne de chair dressée au milieu. J'étais dans le même état d'excitation et de désir.
 
Fascinés tous les deux par le corps de l'autre soudain découvert et qui se livrait enfin. Jusque-là, ensemble depuis plusieurs semaines, jamais encore, nous n'avions franchi le cap. Nos effusions transies s'interrompaient toujours quand nous sentions approcher la limite où le corps ne sait plus, ne peut plus retenir désir. Cette fois, nous allions nous connaître au sens biblique...
 
Nous nous regardions avec la même tendresse et la même voracité. Comment avions-nous pu craindre cette rencontre alors que notre chair la réclamait ? Nous étions chacun face au tendre assassin, émus, excités... Hésitants encore. Il y avait un contraste sauvage et somptueux entre nos cheveux assez longs à l'époque et nos sexes dardés. Encore une seconde, et ce fut le contact des corps. Un bonheur électrique nous parcourut, si vif que Mark poussa un cri de saisissement. Je le couchais sur le lit. Il fermait à demi les yeux. Il m'empoigna et se coucha sur moi. À mon tour je fermais les yeux, lui me regardait avec dans ses yeux embués une immense tendresse, tandis que sa bouche humide et charnue se promenait sur mes épaules, sur ma poitrine, sur mes reins, sur mon ventre et au creux de mes hanches. Puis ce fut mon tour d'être sur lui, chacun de nos membres enlacés. Le plaisir nous tordait des talons à la nuque...


à suivre...

09 novembre 2022

Je ne connaissais rien de l'amour mais soudain devant lui j'ai su...

"Et, ce faisant que je ne connaissais rien de l’amour, je ne connaissais pas le moins du monde à ce qui s’était bâti entre lui et moi. Je ne sais pas si c’était une forme d’amour. Un lien de dépendance très certainement. Et, au final, une forme d’amour que je cherche aujourd’hui encore sur le visage de mes amis, en dépit de tout ce qui est advenu par la suite. Je le vois apparaître parfois en filigrane. Je ne m’en suis aperçu que récemment." (Arnaud Cathrine)

 
C’est un fait reconnu sur lequel on a souvent écrit :  l’amitié entre hommes est un sujet difficile, vite tabou, trop peu abordé en littérature comme si chaque épisode écrit cela nous renvoyait à la mythologie et ses guerres fratricides. Il y eut bien Montaigne et La Boétie, le fameux "parce que c'était lui, parce que c'était moi", mais bon ce n'est pas très rock-and-roll pour les gens. Quand il s'agit d'une amitié entre garçons, entre adolescents, c'est pire. Montaigne et La Boétie étaient assez jeunes quand leur affection se déployait, mais c'était une autre époque. 

Bref, parler de l'affection qu'un garçon peut ressentir soudain ou qui s'insinue peu à peu et se fait réciproque, c'est un interdit. Cela gêne. Comme si aborder cette relation devait automatiquement insinuer une virilité, un combat, une forme de violence entre deux frères-de-sang adulte ; comme si l’amitié était un truc fade, puéril, relégué aux souvenirs de la cour de récréation et liés à nos jeux d’enfant, aux guerres et autres échanges de gouttes de sang. Comme si l’amitié entre deux garçons insinuait une perdition, un amour impossible, une image dégradante et fortement homo-sexuée. Et puis quand bien même...

Ces premiers frissons, ce désir que nous ne savons pas nommer, ce trouble nouveau qui s'immisce, nous avons tous ressenti cela à un moment ou un autre. La passion absolue, cette amitié virile entre deux adolescents qui entrent de plein fouet dans le monde adulte, celui des déconvenues et de l'impureté. Ils apprendront un jour le mot qui caractérise tout cela, l'incomplétude. Ils réaliseront qu'ils ne son,t pas des dieux quand l'image d'eux que le monde leur renvoyait trop longtemps les fit se prendre pour des demi-dieux... 

 

Repris l'autre soir "Les Garçons perdus", ce livre de Arnaud Cathrine et Eric Cavacaca qui m'avait beaucoup marqué à sa parution. Une fiction ? Un reportage ? On hésite tant tout semble vrai, fort, réellement vécu et au fil des pages, mille souvenirs qu'on croyait oubliés refont surface. Joyeux et douloureux à la fois...

Deux jeunes garçons, presqu'encore des enfants, deux jeunes mâles que tout oppose : l’un est soucieux de sa virilité, un peu teigneux,bien  charpenté, à l’humour offensif, brillant en tout. Il impressionne quiconque s’adresse à lui. est le fer de lance, l’ami à avoir, le compagnon à côtoyer, le pote à inviter, l’idole. L’autre est tout le contraire, transparent, invisible,  beau mais chétif, mal à l'aise dans un corps trop frêle pour être respecté,  impopulaire à souhait. Autour de lui sifflent le jugement impitoyable des autres garçons qui le traitent de "Tarlouze" ou de "fiotte... Il n'a qu'une hâte : quitter l'enfer du lycée pour échapper à ces tensions perpétuelles.

 

Ce qui les rapproche l’un de l’autre : une histoire d’alter ego, l’un sublimant l’autre, l’autre donnant le change à l’un. La nuit et le jour, l’ombre et la lumière.  

On pourrait croire à une histoire sans idéaux, dans l’ennui de l’adolescence et de ces rencontres qui construisent et se perdent dans les dédales de la vie adulte. C’est bien autre chose que nous raconte cette histoire de garçons perdus. C’est la force et l’émotion, la suprématie de celui qui s’égare et l’éclosion de celui qui devient, la vie et la mort, les pertes de repères et les désillusions, les trajectoires qui ne tiennent qu’à un fil, un mot, les fils qui se construisent, deviennent romans, quand d’autres s’isolent et se cassent.