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27 novembre 2022

Ton regard qui soudain plongea dans le mien

 
 
"Ohne mich, ohne mich jeder Tag dir so bang ; Mit mir, mit mir keine Nacht dir so lang " (“Without me, without me, Everyday's misery ; But with me - am I wrong ?  No night is too long !”). Ces paroles de la fin de l'acte II du Chevalier à la Rose de Richard Strauss, m'ont rappelé soudain le livre de Barbara Vine (Ruth Rendell) qui les fait dire à Tim, le héros de son roman "No night is too long", joué par Lee Williams dans le film éponyme réalisé en 2002 par Tom Shankland. 
 
 
C'est tellement vrai cette phrase. Aucune nuit n'est trop longue quand je suis avec toi ou mieux, quand tu es avec moi. Si on disait les nuits sont trop courtes quand nous sommes ensemble, ce ne serait pas pareil. Il y aurait comme un regret, la conscience que notre plaisir, l'amour qu'il entretient, tout cela passe trop vite. Comme la vie qui passe. Aucune nuit n'est trop longue exprime avant tout la certitude que sans l'aimé, on ne peut vivre bien, on dort mal. On se retourne dans son lit, la place vide et froide à côté de nous dans le lit... Ensemble, nous dormons, nous nous aimons et souvent le petit matin jaillit et les premiers rayons du jour éclairent nos deux corps enlacés, chauds encore du combat amoureux...

Parfois, au début de notre liaison, quand nous ne vivions pas encore ensemble, que Mark partageait une piaule sur le campus de son université avec Leonard puis avec Vince et que j'occupais l'appartement du sixième, petit, débordant de livres et de disques, nos nuits communes étaient un évènement, une fête illuminée par la passion. Nous nous retrouvions les week-ends où Mark ne rentrait pas chez ses parents à Baltimore, souvent aussi, il me rejoignait chez moi. Le concierge avait compris qui nous étions l'un pour l'autre et son sourire complice nous amusait. Puis j'avais donné une clé à Mark. C'était rarement pour la nuit. Plutôt l'après-midi. Nous sautions des cours où lors d'un entraînement terminé plus tôt. Il était soudain devant moi, avec son sourire magique et nous nous aimions jusque tard dans la soirée... Au début, je le rejoignais sur le campus. Il me prévenait quand son room mate était absent. Leonard rejoignait souvent sa Lisa sa petite amie de l'époque - devenue sa femme depuis -  dans sa chambre à Barbnard. Je me souviens de notre première fois. La chambre, pareille à un décor de films pour adolescents, des livres partout, des fanions de l'Ivy League, le plaid écossais sur le lit, les posters... Mark avait posé un t-shirt bleu sur l'abat-jour près de son lit et mis des bougies sur le bureau... En d'autres cas, d'autres lieux, j'aurais trouvé tout cela un peu outré, voire ridicule... Trop souvent les amours viriles refusent de s'encombrer de fanfreluches. Ni Mark ni moi ne sommes du genre "pussy", "bugger" ou "friends of Dorothy". La tendresse éprouvée l'un pour l'autre n'a jamais étouffé notre virilité. Un ami parisien, très féminin, qui parle d'un de ses nombreux fiancés - caricature ou archétype du gay des années 2000 - en disant "ma femme" ou "mon mari" selon les circonstances, me reprochait d'aimer les garçons comme un boy-scout. Je revendique, même à quarante ans passés ! Tendresse, sensualité mais virilité toujours. 

D'où notre difficulté à comprendre le discours victimaire anti-amour des LGBT and co d'aujourd'hui. Leur doxa imposée : non seulement le placard est une honte, une injure faite aux homos qui s'assument et souffrent parfois le martyre, mais l'attirance pour les personnes du même sexe induit que l'attiré est une anomalie puisque sa vraie nature est féminine. Il doit donc de considérer ni mâle ni femelle, mais autre ou pire, il est une femme, donc il doit envisager de se faire opérer... Je sais, je caricature. Pourtant, cette obsession de la déconstruction et cette obsession de sacraliser la victimisation semble nous conduire dans le mur, celui que dressent la haine et l'hypocrisie...

Mais revenons à notre première fois, complète, sur le campus de Columbia... Tu m'attendais, assis sur ton lit. A peine revenu de la douche, simplement vêtu d'un slip blanc et d'un t-shirt. Tu essuyais tes jambes où couraient encore quelques gouttes d'eau ; tes cheveux mouillés bouclaient et te tombaient sur les yeux. Quand je suis rentré, tu as levé les yeux et tu m'as souri. Ce sourire, je le vois chaque jour plein de fois mais c'est toujours un bonheur de sentir qu'il m'est adressé et qu'il me dit mille mots d'amour... J'avais devant moi l'Amour et la Beauté !

- Que me vaut l'honneur ? Me lança-t-il en clignant des yeux. - Je t'aime ! lui ai-je dit. J'en suis malade ! Vite, guéris-moi ! Pathétique ce romantisme de midinette, ai-je pensé mais nous étions très jeunes et très amoureux. Nous le sommes encore. 
 
 
Il s'est levé et m'a enlacé. Je lui ai pris la bouche. De ce point de jonction, par nos lèvres unies, des vibrations électriques se répandirent en nous et nous firent vibrer comme jamais auparavant. Au bout d'un moment, je me suis écarté et me suis déshabillé. Lui, sans me quitter des yeux, arracha son t-shirt avec une sorte de rage, comme si le mince tissu de coton eut été une convention dont il était pressé de se dépouiller pour surgir enfin devant moi dans sa vérité animale. Le slip traversa la chambre dans un vol de mouette pour atterrir sur la commode. Un homme un instant immobile face à un autre homme nu, l'un blond l'autre brun. Tous deux royaux, impudiques, les bras ouverts, les jambes écartées. Mes yeux étaient fixés sur Mark, sur son cou et ses épaules, sur son bas-ventre marqué d'une toison blonde, avec une corne de chair dressée au milieu. J'étais dans le même état d'excitation et de désir.
 
Fascinés tous les deux par le corps de l'autre soudain découvert et qui se livrait enfin. Jusque-là, ensemble depuis plusieurs semaines, jamais encore, nous n'avions franchi le cap. Nos effusions transies s'interrompaient toujours quand nous sentions approcher la limite où le corps ne sait plus, ne peut plus retenir désir. Cette fois, nous allions nous connaître au sens biblique...
 
Nous nous regardions avec la même tendresse et la même voracité. Comment avions-nous pu craindre cette rencontre alors que notre chair la réclamait ? Nous étions chacun face au tendre assassin, émus, excités... Hésitants encore. Il y avait un contraste sauvage et somptueux entre nos cheveux assez longs à l'époque et nos sexes dardés. Encore une seconde, et ce fut le contact des corps. Un bonheur électrique nous parcourut, si vif que Mark poussa un cri de saisissement. Je le couchais sur le lit. Il fermait à demi les yeux. Il m'empoigna et se coucha sur moi. À mon tour je fermais les yeux, lui me regardait avec dans ses yeux embués une immense tendresse, tandis que sa bouche humide et charnue se promenait sur mes épaules, sur ma poitrine, sur mes reins, sur mon ventre et au creux de mes hanches. Puis ce fut mon tour d'être sur lui, chacun de nos membres enlacés. Le plaisir nous tordait des talons à la nuque...


à suivre...

09 novembre 2022

Je ne connaissais rien de l'amour mais soudain devant lui j'ai su...

"Et, ce faisant que je ne connaissais rien de l’amour, je ne connaissais pas le moins du monde à ce qui s’était bâti entre lui et moi. Je ne sais pas si c’était une forme d’amour. Un lien de dépendance très certainement. Et, au final, une forme d’amour que je cherche aujourd’hui encore sur le visage de mes amis, en dépit de tout ce qui est advenu par la suite. Je le vois apparaître parfois en filigrane. Je ne m’en suis aperçu que récemment." (Arnaud Cathrine)

 
C’est un fait reconnu sur lequel on a souvent écrit :  l’amitié entre hommes est un sujet difficile, vite tabou, trop peu abordé en littérature comme si chaque épisode écrit cela nous renvoyait à la mythologie et ses guerres fratricides. Il y eut bien Montaigne et La Boétie, le fameux "parce que c'était lui, parce que c'était moi", mais bon ce n'est pas très rock-and-roll pour les gens. Quand il s'agit d'une amitié entre garçons, entre adolescents, c'est pire. Montaigne et La Boétie étaient assez jeunes quand leur affection se déployait, mais c'était une autre époque. 

Bref, parler de l'affection qu'un garçon peut ressentir soudain ou qui s'insinue peu à peu et se fait réciproque, c'est un interdit. Cela gêne. Comme si aborder cette relation devait automatiquement insinuer une virilité, un combat, une forme de violence entre deux frères-de-sang adulte ; comme si l’amitié était un truc fade, puéril, relégué aux souvenirs de la cour de récréation et liés à nos jeux d’enfant, aux guerres et autres échanges de gouttes de sang. Comme si l’amitié entre deux garçons insinuait une perdition, un amour impossible, une image dégradante et fortement homo-sexuée. Et puis quand bien même...

Ces premiers frissons, ce désir que nous ne savons pas nommer, ce trouble nouveau qui s'immisce, nous avons tous ressenti cela à un moment ou un autre. La passion absolue, cette amitié virile entre deux adolescents qui entrent de plein fouet dans le monde adulte, celui des déconvenues et de l'impureté. Ils apprendront un jour le mot qui caractérise tout cela, l'incomplétude. Ils réaliseront qu'ils ne son,t pas des dieux quand l'image d'eux que le monde leur renvoyait trop longtemps les fit se prendre pour des demi-dieux... 

 

Repris l'autre soir "Les Garçons perdus", ce livre de Arnaud Cathrine et Eric Cavacaca qui m'avait beaucoup marqué à sa parution. Une fiction ? Un reportage ? On hésite tant tout semble vrai, fort, réellement vécu et au fil des pages, mille souvenirs qu'on croyait oubliés refont surface. Joyeux et douloureux à la fois...

Deux jeunes garçons, presqu'encore des enfants, deux jeunes mâles que tout oppose : l’un est soucieux de sa virilité, un peu teigneux,bien  charpenté, à l’humour offensif, brillant en tout. Il impressionne quiconque s’adresse à lui. est le fer de lance, l’ami à avoir, le compagnon à côtoyer, le pote à inviter, l’idole. L’autre est tout le contraire, transparent, invisible,  beau mais chétif, mal à l'aise dans un corps trop frêle pour être respecté,  impopulaire à souhait. Autour de lui sifflent le jugement impitoyable des autres garçons qui le traitent de "Tarlouze" ou de "fiotte... Il n'a qu'une hâte : quitter l'enfer du lycée pour échapper à ces tensions perpétuelles.

 

Ce qui les rapproche l’un de l’autre : une histoire d’alter ego, l’un sublimant l’autre, l’autre donnant le change à l’un. La nuit et le jour, l’ombre et la lumière.  

On pourrait croire à une histoire sans idéaux, dans l’ennui de l’adolescence et de ces rencontres qui construisent et se perdent dans les dédales de la vie adulte. C’est bien autre chose que nous raconte cette histoire de garçons perdus. C’est la force et l’émotion, la suprématie de celui qui s’égare et l’éclosion de celui qui devient, la vie et la mort, les pertes de repères et les désillusions, les trajectoires qui ne tiennent qu’à un fil, un mot, les fils qui se construisent, deviennent romans, quand d’autres s’isolent et se cassent.








 

12 octobre 2022

Quand le temps se fait gris, retour du Noir & Blanc















 

Retrouvailles avec l'art antique et la représentation du Beau : le travail de Troy Schooneman

 

Dans la statuaire hellénique puis romaine, la jeunesse est toujours habilement représentée. Les bustes que j'ai connu empereur, et dont j'ai orné Rome et mes autres capitales, mes palais et les jardins de mes villas comme le firent tous ceux qui m'ont précédé et ceux qui me suivirent au cours des siècles et des civilisations qui ont succédé à la nôtre, ces portraits de jeunes athlètes, de princes et de patriciens, les représentations des dieux de l'Olympe sont bien souvent mutilées aujourd'hui. Quelle ne fut pas ma surprise quand je découvris l’œuvre d'un jeune artiste qui sculpte les corps des demi-dieux avec un appareil photo.

 

  

 

Quelque chose aussi du Caravage ou de Rubens voire de David ou de Ingres, se retrouve dans ces portraits de héros qu'il offre à nos regards et à nos désirs...
 
 
  
 
Quant aux garçons d'aujourd'hui, il sait aussi les représenter d'une manière classico-maniériste bien agréable. Avoir celui qu'on aime ou que l'on désire ardemment ainsi portraituré, figé pour l'éternité dans la beauté et la pureté de sa jeunesses est un cadeau des dieux. 
 
L'art digital fera grincer les dents à quelques puristes qui ne considèrent pas la photographie comme vraiment un art et ne jurent que par la peinture et le dessin manuel. Troy Shooneman crée de l'art digital et cela se vend fort cher. Je viens d'acquérir pour Mark une très belle pièce en série limitée pour plus de 1500 dollars. De l'art vraiment (comme l'indique son prix)
 

L'artiste qui est australien, se nomme Troy Shooneman. Son site : https://www.troyschooneman.com/

Tous les clichés © Troy Schooneman

Ode to Nietzsche

10 octobre 2022

Tremulo, les frissons du premier amour...

Le cinéma mexicain est peu connu Californie, davantage qu'ici certainement. Il y a parmi de nombreux courts et longs-métrages, ce petit bijou qui dès la première image du générique jusqu'à l'ultime note de musique est un délice, plein de délicatesse et d'émotion. Nous l'avons découvert à sa sortie en 2015 et je le revois parfois, toujours avec beaucoup de plaisir.

 

A une époque où dès sept ou huit ans hélas, les enfants ont déjà l'habitude de la pornographie et savent tout du plaisir et du sexe, ce petit film sur la découverte de l'amour, du désir et des déconvenues de la séparation devrait être montré aux adolescents. Le jeu des acteurs est tellement naturel, le décor tellement ordinaire, que ces sentiments pourtant familiers que nous avons tous éprouvés, nous touchent en profondeur. 

Les corps dénudés sont là, la lutte et le jeu enfantin sous le jet d'arrosage, puis la danse sont autant d'allégories du désir et de l'acte sexuel, les corps dénudés sont soudain très érotiques sans que rien ne vienne effacer la chasteté des gestes, la pudeur des deux protagonistes. 

Le premier baiser, intense, qui laisse pantois, surpris mais heureux le jeune coiffeur et fait partir le soldat qui, plus âgé, plus au fait de l'alchimie du désir, que seule la fuite peut calmer... Chaud, intense, émouvant et joyeux en même temps ! 

 

La dernière scène est elle aussi très symbolique, le jeune apprenti coiffeur est désormais un homme, avec sa souffrance d'homme qui succède à sa candeur d'enfant, et l'attente amoureuse qui rassure le spectateur : le jeune soldat reviendra vers son ami et ils vivront leur amour et deviendront amants... 

Très beau vraiment ! J'attends votre avis et vos commentaires ! :

05 octobre 2022

L'été reviendra

Cette photo empruntée à un site ami pour dire combien, même en écoutant John Coltrane dans un bar cosy de Manhattan, rien ne peut faire oublier la chaleur de l'été, le farniente sous un ciel pur, la compagnie des amis, de la famille et la beauté épanouie des garçons presque nus sur les plages et au bord des piscines ! Comment se faire aux couches de vêtements sur notre peau encore bronzée, aux chaussettes dans des chaussures serrées, à la puanteur de la ville, au bruit dans les rues, à la foule pressée quand on a vécu en bermuda et en sandale pendant des mois ?

l'été reviendra bien sûr. Mais en attendant, et d'un commun accord, Mark et moi, c'est décidé, cette année nous passerons les vacances de Noël au Mexique. Il fera chaud et nous oublierons les frimas et l'atmosphère délétère de la ville seulement vêtus de nos maillots de bain.  Cancun vaudra mieux que New York !

02 octobre 2022

Intimité ou L'Homme est le plus beau des dieux

"Je suis tombé amoureux du monde entier le jour où j’ai rencontré ton regard souriant." (Germont)
"Pour vivre harmonieusement, il faut trouver la distance appropriée entre soi-même et ce qu'on vit. C'est même la condition première de toute action réussie. En se détachant légèrement de ce qu'on entreprend, ni trop ni pas assez, on garde constamment la capacité de le corriger, de l'adapter et ainsi de le mener à bien... Cet espace par lequel nous pouvons respirer, laisser passer..." écrivait un écrivain méconnu que j'ai souvent lu.

Dans le blog en langue anglaise que, dans une autre vie, j'ai longtemps tenu, mon double - plus terre à terre qu'Hadrianus - envisageait cette distance dans laquelle s'immiscent sensations et sentiments, comme condition sine qua non à toute réflexion et par là à toute mutation des idées et des actions. Qu'on le nomme souffle, respiration, allitération, liberté, vérité ou changement, voire même retour aux sources, cet espace peut-être aussi de l'amour...

Voyez cette "distance imperceptible et pourtant nécessaire entre la main amoureuse et la peau qu'elle caresse, entre le souffle ardent et les lèvres s'entrouvrant doucement pour le baiser. Quand l'amour passe ainsi entre deux êtres, l'harmonie est indestructible. Entre les deux corps et âmes qui se chérissent, l'espace n'est que la possibilité enivrante de se rapprocher pour s'unir." 
 
Ces notes retrouvées par Mark dans un vieux cahier Clairefontaine acheté en France, j'en vérifie la vérité de plus en plus au fur et à mesure que je vieillis (que nous vieillissons lui et moi et les autres autour de nous)... Largement inspirées par trois ouvrages qui ne quittaient pas mon chevet dans mes premières années américaines : Tonio Kröger de Thomas Mann, La Part de Fragilité de Germont et Le Plaisir Solitaire de Bernard Delvaille, je pourrais les écrire de nouveau en me regardant vivre ma vie d'aujourd'hui. Propos bien sérieux sur un site consacré à la beauté et à l'amour des garçons penseront certains lecteurs peu attentifs. Mais d'autres auront compris ce qu'essaie d'exprimer. Ils me lisent depuis plus de quinze ans et nous avons vieilli ensemble.
 
Comme ces trois auteurs auxquels je m'identifie souvent - humblement et sans forfanterie ni prétention - ne s'agissait-il pas d'oublier mon trouble face à ma propre nature. Que pouvais-je faire d'autre, en effet, contre l'attirance que j'éprouvais en voyant certains garçons dont la beauté me séduisait plus profondément que celle des femmes ? J'avais longtemps refusé de céder à ces attirances. Pas envie en tout cas qu'elles soient au centre de ma vie et la perturbe. Je l'ai écrit à plusieurs reprises, mon éducation assez rigoriste, le monde dans lequel j'avais grandi, la force du regard des autres auquel j'étais soumis tout entier, ne me préparait pas à braver une hostilité encore largement répandue, surtout dans les milieux que je fréquentais alors. 

Et puis il y eut l'université. Paris puis l'Angleterre et enfin l'Amérique. Et les choses changèrent. Les garçons me souriaient. Les premières aventures furent des suites joyeuses, ardentes et simples. Ils étaient sains d'esprit et de corps, leur virilité assumée autant que leurs penchants sexuels. Vivre à la manière de tous les autres sur le campus comme avant au collège en Angleterre, me rassura et me facilita les choses. J'acceptais cette différence que Mark définit avec beaucoup d'à-propos comme un complément, un supplément d'âme. il dit "supplémentation" .


Mais assez philosophé. Ce dimanche tranquille, je préfère le partager avec vous, fidèles lecteurs, avec de la poésie. L'empereur convoquait souvent les poètes qui tous chantaient son amour pour Antinoüs mais aussi la beauté virile et tendre des garçons, qu'ils soient libres ou esclaves, amis ou amants à la cour impériale. 
 
Ah ! ces temps où la bêtise et l'obscurantisme ne réduisaient pas l'existence, les idées et les mœurs à un amas grossier et sans nuance aucune. Cet esprit binaire qu'on essaie ici comme partout ailleurs de nous imposer et que la jeunesse absorbe sans aucun esprit critique, effrayé à l'idée d'être le produit type du capitalisme, terriblement trop blanc, hétéronormé  - un comble pour quelqu'un qui vit fidèlement une union avec un garçon - universaliste et occidental... 
 
Pour me faire pardonner ce qui pourrait paraître comme un hors-sujet aux yeux des lecteurs du blog, ces vers écrits par un jeune poète dans les années 80 : "La Ballade de la Beauté Originelle" :

Dieux mystérieux qui veillâtes sur mon enfance,
Fidèle Isis dont la sagesse sut préserver
Votre frère bien-aimé, et vous, plus ancien et savant,
Ptah, créateur des mots de vie sur les tombes illuminées,
Et vous, maître du Double-Pays, Amon-Rê,
Qui éclairez les villes enfouies et les peintures bienheureuses,
Les premiers vous m’enseignâtes qu’au bref soleil de son éternité
L’homme est le plus beau des dieux.

Premiers symboles de mes jours, dieux de la Grèce souriante,
Vous rêvez à la terre du haut de vos palais éthérés.
C’est pour les mortels que résonnent vos doux chants,
Amoureux Apollon, ce sont des mortels que vous jalousez,
Héra trop pure et trop hautaine, et vous pleurez
Les doux baisers d’un amant périssable, déesse malheureuse,
Invincible Aphrodite, qui savez que dans sa fragilité
L’homme est le plus beau des dieux.
 
Vous-mêmes, divinités de Rome austère et conquérante,
Avez succombé à la nostalgie de l’homme éternisé
Et reproduit le charme de sa trouble apparence.
Mercure, maître de mon signe, vous êtes le messager
De l’effrayante mort que la vie a engendrée.
Mais c’est vous aussi qui ramenez vers le jour bienheureux
Ceux qui ont trop aimé, car dans cet oubli émerveillé
L’homme est le plus beau des dieux.

Destin, que la mort soit la pierre angulaire de notre éternité.
Accorde-nous d’être dignes de l’humain visage du Seigneur
Et d’éprouver enfin que dans son bonheur retrouvé
L’homme est le plus beau des dieux.