Pages

18 décembre 2005

Broken sky (El cielo dividido)

“And a time will come when we’ll no more know what that is that binds us. By slow degrees the word will fade from our memory”. Cette citation extraite de Hiroshima, mon amour de Marguerite Duras, ouvre le film du mexicain Julian Hernandez, sorti récemment ici et dont on parle beaucoup. Un film de 140 minutes à la fois envoûtant et horripilant.
140 minutes sans pratiquement de dialogue et ça marche. L'essence de ce mélodrame est le corps, son langage : les acteurs parlent avec leurs yeux, leurs gestes. La musique est bien choisie et le rythme souvent déconcertant. On est parfois un peu perdu dans les émandres de la pensée du héros, Gerardo qui est amoureux de Jonas qu'il a rencontré sur le campus de son université. Un amour fou, transi, joyeux qui soudain se gâte. Jonas a croisé dans une boite de nuit un garçon qui l'a envoûté, littéralement. Gerardo essaie de comprendre et reste le même, mais Jonas ne peut plus être comme avant et se détache de son ami. Le film suit le détachement des deux garçons, les liens qui se défont, la douleur de l'aimé délaissé. C'est parfois sauvage, cru, et douloureusement ressenti par le spectateur.
Julian Hernandez, après A Thousand Clouds Of Peace qui avait reçu le Teddy Award. 
Les deux personnages sont de (très) jeunes étudiants, Gerardo et Jonas, qui tombent amoureux et vivent une relation passionnée. Une nuit, dans un night-club Jonas est attiré par un beau type mystérieux, Bruno. Il en est bouleversé. cela va bouleverser aussi sa vie et sa relation avec Gerardo dont il va se détacher peu à peu. Quand Jonas est prêt à céder de nouveau à l'amour de Gerardo, il voit Bruno à la place de son ami et chaque fois le réveil est douloureux, il se refuse, ne veut plus l'embrasser, et Gerardo bien sur en prend ombrage tout en restant fou amoureux de Jonas. Gerardo de son côté est poursuivi par Sergio, un garçon plus âgé qui est tombé amoureux de lui... Ces deux tentations laminent peu à peu leur relation en dépit de la passion qui abrite encore leurs cœurs.
Les films qu'on a l'habitude de voir depuis le début des années 2000 et qui traitent de la sexualité des garçons entre eux portent toujours sur les mêmes problématiques T: la difficulté de vivre son désir au grand jour, la relation avec les parents, le doute et les hésitations, le sida, l'ostracisme d'une société faussement tolérante... Pas ce film-là. Il évacue toutes ces données sociologiques ou sociétales.  
Il parle de l'amour, de la passion. C'est une magnifique histoire d'amour qui transcende le type de sexualité qui fait vibrer les deux garçons. Et c'est bien. Flirtant avec les extrêmes de la passion amoureuse, poignant sans jamais être larmoyant ni fleur-bleue, Broken sky est émouvant. C'est en cela qu'il touche des publics peu concernés par l'amour entre garçons. La passion est universelle et cette tension, cette douleur que ressentent les protagonistes du film, n'importe qui peut un jour ou l'autre dans sa vie, y être confronté.
Le travail de la caméra est surprenant. C'est superbe. Les acteurs sont très convaincants, certainement parce que tout se dit par une gestuelle très aboutie, très parlante (il n'y a pratiquement pas de dialogues dans ce film).  Pourtant cela dure plus de  deux heures ! Bien sur parfois des choses agacent, l'usage à de trop nombreuses reprises du panoramique (pour suggérer le vertige dans lequel les acteurs sont plongés, leur désarroi, le monde qui s'écroule ) , cela finit par lasser mais c'est un parti-pris du réalisateur et il faut le respecter. La musique aussi permet au spectateur de s'engoncer totalement dans l'histoire, créant peu à peu une atmosphère très particulière et attachante. Une mention spéciale pour l'usage fait par Hernandez du  "Rusalka"de Anton Dvorak (réminiscences du film de Wong Kar-wai's 2046) dans uen scène où les deux héros sont attirés l'un par l'autre mais restent rétifs à tout contact physique, comme un ballet sauvage où la tension du désir est énorme mais où le mal-être, la trsitesse l'emportent et freinent l'assouvissement de leurs élans. c'est très beau cette scène vraiment où ces deux garçons au plus fort de leur passion sont effrayés par elle et sont bouleversés par le flot d'émotions qu'ils ne contrôlent pas.
Certains n'ont pas été convaincus par la fin. En fait, il y a deux fins avec au milieu du film, l'apparition du titre du film comme un second générique.  Étrange fin c'est vrai. Où on se demande si Gerardo et Jonas rêvent ou si effectivement ils retrouvent un équilibre entre leur passion mutuelle et leurs attirances pour de dangereuses chimères... La première fin est logique, implacablement. leur amour est mort et Gerardo se résigne, Jonas est malheureux, etc... Cela sonne vrai. La seconde est romantique à souhait, apaisante et apaisée comme les deux protagonistes dont le sourire ressemble à celui qu'ils avaient au début du film.  Cette fin n'en est pas moins plausible. En tout cas, on sent qu'elle émane directement du réalisateur, elle traduit son souhait que tout finisse ainsi pour les deux héros.  Il a d'ailleurs expliqué que le film fini, avec la première fin, il ne se sentait aps satisfait. il manquait quelque chose pour qu'il sente l'opus accompli et achevé. Il a donc voulu proposer ce qui selon lui est advenu.  L'esthétique des derniers plans, la tension positive qui y règne, comme un accomplissement et non plus seulement comme un fougueux assouvissement,  tout se tient et rend l'ensemble du film harmonieux et flamboyant.