29 décembre 2019
La fin de l'année arrive
Voilà des mois que je ne suis pas venu nourrir le blog. Le temps passe inexorablement, les jours se succèdent et la vie ne me laisse que bien peu de temps pour écrire désormais. Pourtant, combien j'aimerai raconter à mes lecteurs toutes mes récentes aventures, mes rencontres, mes voyages et puis dire aussi ma joie de vieillir doucement entouré d'êtres que j'aime, tous d'exception, débordants d'énergie, de projets et de joie. New York n'a jamais été aussi belle et la France si lointaine avec les médiocres qui la gouvernent et d'autres médiocres qui pestent de ne pas en être. Comme tout cela est loin pour moi. La disparition de mon père à la fin de l'été, chronique d'une mort annoncée depuis la découverte de la terrible maladie qui devait l'emporter, la tristesse d'un univers qui disparait, le chagrin de notre mère, le retour obligé pour de longues semaines. La succession aussi, les partages, des signatures à n'en plus finir, des visites, des dîners aussi car tout le monde voulait voir de près le fils prodigue parti à l'autre bout du monde sans intention de jamais revenir. Les tracasseries administratives ensuite.
Mais maintenant que 2019 s'éloigne, comme s'est peu à peu éloigné le chagrin et la rage de tout ce temps perdu, ce gâchis que furent les derniers mois de mon père, son entêtement à ne rien vouloir changer. Sa colère aussi de me voir "campé sur ma position" - "bêtement" me dira à côté du lit où son frère venait de rendre le dernier soupir, un de mes oncles, devant mon souhait de tout abandonner à mes frères et sœurs. Les oncles pensent que mon entêtement est lié à ma vie privée. Le garçon avec qui je vis depuis près de quinze ans qu'ils ont reçu leur parait comme l'obstacle. Moi, l'aîné du nom, l'héritier, le fils préféré, celui qui lui ressemblait le plus, n'aurait jamais d'enfant. La jolie cousine depuis dix ans a épousé un cousin. Nos vignes ne formeront jamais la propriété dont plusieurs générations rêvèrent jusqu'à ce grand oncle britannique qui crut que sa proximité d'avec la famille royale, l'amitié de la reine, seraient suffisantes pour me faire plier. "Tu ne peux abandonner ce que dix générations ont patiemment édifié !" Mais si mon oncle, je peux et je l'ai fait. La révolution est passée par là, il n'y a plus de droit d'aînesse et puis quand bien même, mes frères sont brillants, passionnés, dévoués à la propriété et presque tous mariés avec des enfants qui après eux reprendront le flambeau. Notre vin continuera de colorer la table de Sa Majesté. Ma part d'héritage, transformée en rente et en actions, un appartement à Londres et des parts dans la villa au Pays Basque, voilà qui me convient.
Mon métier ici, ma vie, mes amis, mes voyages, tout cela me convient. J'ai choisi de rester alors qu'à vingt ans, je pensais ne séjourner en Amérique qu'une année, deux tout au plus. J'étais un enfant. J'adorais cette liberté nouvelle, ce monde si libre où j'étais comme les autres. Loin de moi les années de collège en suisse puis en Angleterre, loin de moi les rites et la pesanteur de notre vie médocaine. J'ai aimé mon enfance. Moins les pensionnats et les nounous quand les parents voyageaient... Aujourd'hui je suis un homme. Après mille aventures, deux fiançailles rompus et un mariage arrangé qui faillit se faire, j'ai rencontré celui qui a transformé mon existence.
Je ne me suis pas posé de questions. Jamais. Ce que j'ai ressenti avec tout mon être quand, après cette soirée d'étudiants, drôle et mouvementée, nous avons fini la nuit ensemble, marchant sur la plage jusqu'au lever du soleil, parlant de tout, enthousiastes et déjà si proche, ce que j'ai ressenti le lendemain quand je me suis réveillé à côté de lui sans que rien pourtant ne se soit passé entre nous. Cette sensation de plénitude, de paix et de joie en même temps. Son regard tendre et heureux. J'étais exactement là où je devais être. Et lorsque, deux jours après, il est venu me chercher pour me présenter ses amis et que nous avons passé le reste de la journée à parler des livres et des musiques que nous aimions. Puis la première fois que nous nous sommes embrassés. la première fois que nous avons couché ensemble. et puis les examens révisés ensemble, les sorties ensemble, cette proximité de plus en plus évidente que nous ne cherchions même pas à cacher autour de nous et qui devint tellement évidente que tous l’acceptèrent et s'en réjouirent aussi.
Je revois la première fois que j'ai dîné chez ses parents. La vieille Amérique protestante, les ancêtres qui contribuèrent à l'Indépendance, les oncles politiciens ou militaires, leur culture européenne, leur réseau. Je me sentais assez mal. J'étais plus vieux que lui de trois ans. j'étais français et catholique par ma mère. Mais mon nom était associé à un des meilleurs vins du monde, servi à Buckingham comme à la Maison Blanche. Nous étions du même monde mais rien n'avait encore été prévu pour que deux jeunes héritiers gâtés par la Providence choisissent de vivre ensemble et risquent ainsi les foudres des fondamentalistes de tout poil. Sodome et Gomorrhe personnifiés auraient-ils pu penser. Il n'en fut rien. un peu dé dépit peut-être au début. De la réserve longtemps. Puis nos études, nos exploits sportifs, notre santé, notre bonne humeur, et la force de la parfaite éducation que lui comme moi avons reçue, ont eu raison de tous les doutes préventions. Ce fut plus difficile chez moi. Mais avec le temps tout s'est mis en place.
Voilà un bilan que j'avais besoin de partager, surtout après des mois d'absence et des messages de lecteurs désolés de ne plus me lire. Pourtant, ma prose est loin de valoir l'attachement de ceux qui suivent ce blog depuis sa naissance. J'en ai rencontré quelques uns parfois. Ici à New-York mais aussi à Paris. On m'a aussi accusé d'étaler ma bonne fortune, d'en dire trop ou pas assez. Je garde et préserve un incognito et je joue avec la vérité autant qu'avec la fiction. Comme cela, tout cela y trouve son compte. Personne chez moi ne connait l'existence de ce blog. Peu de gens ici ont la curiosité de lire des billets rédigés en français et la plupart de mes amis américains n'en connaissent même pas l'existence. Presque toujours les photos que je publie sont de simples illustrations venant du domaine public. A de rares exceptions, je ne montre jamais personne de ma vie au quotidien et les prénoms, les noms, les lieux sont changés. Mais le principal demeure : ma vie, mes réflexions, mes désirs, mes joies et mes peines. Parce que tout le monde, dans l'univers qui est le sien, vit ces mêmes désirs, ces joies et ces peines. La seule différence, c'est que j'en traduis les effets avec des mots que je publie et lance ainsi dans la nature, sans impudeur mais aussi sans faux-semblants.
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