Ce bon mot de l'écrivain Roger Peyrefitte me va comme un gant. L'époque est mauvaise pour les esprits libres qui savent combien l'amour des très jeunes, s'il est compliqué, est promesse de joies et de bonheurs ineffables qu'aucune amour mature ne peut surpasser. Avec les très jeunes, l'amour vient comme un bourrasque et ce qu'ils donnent n'est qu'absolue sincérité. Il se dégage de ces corps encore inachevés tant de grâce et de volupté. Rien encore ne vient gâcher leur spontanéité, leur innocence et leur liberté. Ils osent ce que peu d'adultes - hommes et femmes - oseraient. Puis ils grandissent. Ils apprennent. Peu demeurent investis de cette grâce digne des dieux. L'amour intense qui naquit alors qu'ils n'avaient pas encore l'âge autorisé par la société des hommes, s'est peu à peu transformé en une douce habitude faite de tendresse et de désir sans cesse renouvelé. Ceux qui aiment les très jeunes sont rebutés par les poitrines et les cuisses velues, mais le duvet qui recouvre au petit matin le visage de l'aimé, la toison qui orne le bas de son ventre, le dessous de ses bras musclés, rien de toutes ces marques de l'âge adulte n'est pour l'amant un obstacle à l'amour. Le souvenir des premiers émois, les mois de passion et les longues après-midis de volupté, tout efface les signes du temps qui passe. Le garçon que j'aime n'a plus seize ans depuis longtemps. C'est un homme, jeune certes, puisqu'il n'a pas encore vingt cinq ans mais avec lui, j'oublie que la vigueur de ses cuisses, la force de ses muscles, la largeur de sa poitrine sont la preuve que c'est un homme dont il s'agit et non plus d'un garçon... Et sur son visage, des marques confirment que l'adolescence s'éloigne un peu plus chaque jour, mais il est toujours aussi beau et je l'aime.
30 octobre 2011
Melancholicus introversus
Du plus loin qu'on s'en souvienne, Tibulle était un jeune homme élégant, ténébreux, spirituel, délicat et très beau. Et l'un des poètes élégiaques les plus importants de la Rome antique. Après une brève et douloureuse carrière militaire, qui l'amena en Aquitaine mais aussi à Corfou, où il tomba malade, il se fit surtout remarquer dans le salon du célèbre condottiere Messalla, qui rassemblait les poètes bucoliques indépendants, réfractaires à la propagande du nouveau régime instauré par Auguste. On disait de Tibulle qu'il était melancolicus. Melancolicus introversus, cela va sans dire. Il écrivait des vers idylliques qui annoncent les quatuors de Schubert et Le Grand Meaulnes. Dans une époque désenchantée, il rêvait d'un âge d'or.Cet incipit d'un excellent bouquin sur le poète romain qui se languissait de Marathus, bel adolescent insensible à son amour, me rappelle l'inepte professeur de latin amateur de fillettes et qui détestait les garçons que j'ai eu pendant plusieurs années au collège. Il sautait rageusement tout ce qui traitait des amours garçonnières et s'éclairait dès que le corps féminin était évoqué par un poète. Grâce à ses dégoûts, la classe entière se plongea avec délice dans le Satyricon de Pétrone, certains textes pédérastiques que l'on pouvait trouver à la bibliothèque. Je me souviens de mon émotion - et de mon excitation bien plus physique qu'intellectuelle, à la lecture de l'histoire d'Alexandre écrite par Roger Peyrefitte. Mes parents, sans les avoir lu, m'offrirent pour mes 15 ans les deux volumes de l’œuvre. S'ils avaient su... Les pages très explicites de Peyrefitte me gardèrent éveillé des nuits entières et les draps s'en souviennent.
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