Autoportrait de l'artiste et de son ami dans la salle de bains
09 mai 2020
Matin tranquille
© Mark Seliger - april 2020 |
9h45. Le ciel est gris, on dirait un ciel irlandais. Il fait frais. Tout est calme... Les pancakes sont au chaud et le jus d'orange fraîchement versé dans les verres. Le chien a fait sa petite sortie du matin. Il ne devrait pas pleuvoir. C'est le Mother's day sans grandes réjouissances puisque tout ou presque est annulé ou reporté. Lockdown oblige. Notre quartier est le plus souvent tranquille surtout le pâté de maison où nous vivons, mais on ne peut rester plus de cinq minutes sans voir une voiture passer, ou se garer ou klaxonner et les taxis circulent en permanence. Du moins c'était comme cela depuis toujours jusqu'à l'arrivée du covid-19. L'empaffé. Pourtant je crois que nous sommes nombreux -surtout parmi les européens d'ici, les artistes, les plus vieux comme les plus jeunes à aimer ce temps arrêté par endroit, ralenti ailleurs. Hier en fin d'après-midi, j'ai même vu trois gamins en train de jouer aux billes ou un truc du genre sur le bord de la chaussée, à l'emplacement habituel des automobiles disparues. Ils ne sont pas restés longtemps, des policiers les ayant fait décamper. Nous ne sommes pas dans le Bronx. Tout est très civil ici.
Bref, c'est une grande joie que de vivre au ralenti dans la ville qui ne dort jamais. La voilà presque devenue la Belle endormie. Combien j'espère qu'elle reste le plus longtemps possible dans cette apathie presque totale. Les chantiers sont arrêtés pour la plupart, les bus et les métros presque vides et la nuit, à part les patrouilles de police, c'est le vide. Tout est devenu paisible. Je finis par me demander qu'il est peut-être temps de quitter la ville pour aller vivre dans un ailleurs où nulle frénésie ne règne. Ah, une maison dans une vraie campagne, des champs et des bois... Travailler chez soi est un bonheur, vivre avec la personne qu'on aime sans la rupture du quotidien, apprendre à partager l'espace, à sauvegarder des moments de solitude, d'intimité, de silence. Sur tous les médias on nous a parlé du danger de ce confinement, de le violence conjugale, familiale, des tensions qui déboucheraient forcément sur des situations lourdes. Rien de cela pour nous. Nous dormons bien, nous mangeons bien, nous lisons, nous travaillons, nous restons en contact avec ceux de nos amis et de notre famille que nous avons envie de voir et nous sommes débarrassés de ceux dont la fréquentation était une terrible obligation, un pensum aujourd’hui incongru. C'est génial.
Et puis, la tendresse, le désir, le plaisir ont retrouvé leur place. Nous nous parlons beaucoup, bien plus que d'habitude, nous nous souvenons de notre installation ici, évoquons mille choses, rions beaucoup et finalement, le temps passe trop vite. Bien sur nous sommes bien logés, bien sur nous sommes deux avec un chat et un chien, bien sur nous nous aimons assez pour nous supporter dans tous les sens du terme. Mais tout de même, où que vous soyez, avouez que cette coupure inattendue a du bon !
New York confiné
Mark Seliger
2020
New York confiné
Mark Seliger
2020
Albert Wainright
Reclining Figure
1938
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