via zepetifilou
12 novembre 2011
Le poète avait dix sept ans, dehors la guerre sévissait
"Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et tres fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.
Tout le jour il suait d'obéissance; très
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies!
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir: à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
À se renfermer dans la fraîcheur des latrines:
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son oeil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,S'en allait satisfaite et tres fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.
Tout le jour il suait d'obéissance; très
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies!
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir: à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
À se renfermer dans la fraîcheur des latrines:
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son oeil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Sa mère s'effrayait; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment!
À sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, it voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour den édits tire et gronder les foules.
- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor!
Et comme it savourait surtout les sombres chosen,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié!
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile!"
Curieux vers, sensuels et déchaînés, pleins de cette violence qui embrasait le Paris communard où l'adolescent solaire passait ses jours, révolté et déterminé face à une famille ambitieuse et rassise... On peut ne pas aimer la crudité de ses mots, ni les images qui surgissent, mais quelle force et quelle sensualité. Combien le jeune Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud devait souffrir. Combien naturelle est cette musicalité des mots qui coulent naturellement et exhalent mille noirceurs qui viennent à nous comme des perles qui flamboient... Les lecteurs vont me trouver bien lyrique... David a trouvé ce texte ("Les poètes de sept ans"), dans un livre trouvé à la bibliothèque de son université : Selected Poems and Letters, présentés par Jeremy Harding et traduits par John Sturrock. J'aime bien l'entendre s'essayer à la poésie française avec son accent américain...
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