"Ohne mich, ohne mich jeder Tag dir so bang ; Mit mir, mit mir keine Nacht dir so lang " (“Without me, without me, Everyday's misery ; But with me - am I wrong ? No night is too long !”). Ces paroles de la fin de l'acte II du Chevalier à la Rose de Richard Strauss, m'ont rappelé soudain le livre de Barbara Vine (Ruth Rendell) qui les fait dire à Tim, le héros de son roman "No night is too long", joué par Lee Williams dans le film éponyme réalisé en 2002 par Tom Shankland.
C'est tellement vrai cette phrase. Aucune nuit n'est trop longue quand je suis avec toi ou mieux, quand tu es avec moi. Si on disait les nuits sont trop courtes quand nous sommes ensemble, ce ne serait pas pareil. Il y aurait comme un regret, la conscience que notre plaisir, l'amour qu'il entretient, tout cela passe trop vite. Comme la vie qui passe. Aucune nuit n'est trop longue exprime avant tout la certitude que sans l'aimé, on ne peut vivre bien, on dort mal. On se retourne dans son lit, la place vide et froide à côté de nous dans le lit... Ensemble, nous dormons, nous nous aimons et souvent le petit matin jaillit et les premiers rayons du jour éclairent nos deux corps enlacés, chauds encore du combat amoureux...
Parfois, au début de notre liaison, quand nous ne vivions pas encore ensemble, que Mark partageait une piaule sur le campus de son université avec Leonard puis avec Vince et que j'occupais l'appartement du sixième, petit, débordant de livres et de disques, nos nuits communes étaient un évènement, une fête illuminée par la passion. Nous nous retrouvions les week-ends où Mark ne rentrait pas chez ses parents à Baltimore, souvent aussi, il me rejoignait chez moi. Le concierge avait compris qui nous étions l'un pour l'autre et son sourire complice nous amusait. Puis j'avais donné une clé à Mark. C'était rarement pour la nuit. Plutôt l'après-midi. Nous sautions des cours où lors d'un entraînement terminé plus tôt. Il était soudain devant moi, avec son sourire magique et nous nous aimions jusque tard dans la soirée... Au début, je le rejoignais sur le campus. Il me prévenait quand son room mate était absent. Leonard rejoignait souvent sa Lisa sa petite amie de l'époque - devenue sa femme depuis - dans sa chambre à Barbnard. Je me souviens de notre première fois. La chambre, pareille à un décor de films pour adolescents, des livres partout, des fanions de l'Ivy League, le plaid écossais sur le lit, les posters... Mark avait posé un t-shirt bleu sur l'abat-jour près de son lit et mis des bougies sur le bureau... En d'autres cas, d'autres lieux, j'aurais trouvé tout cela un peu outré, voire ridicule... Trop souvent les amours viriles refusent de s'encombrer de fanfreluches. Ni Mark ni moi ne sommes du genre "pussy", "bugger" ou "friends of Dorothy". La tendresse éprouvée l'un pour l'autre n'a jamais étouffé notre virilité. Un ami parisien, très féminin, qui parle d'un de ses nombreux fiancés - caricature ou archétype du gay des années 2000 - en disant "ma femme" ou "mon mari" selon les circonstances, me reprochait d'aimer les garçons comme un boy-scout. Je revendique, même à quarante ans passés ! Tendresse, sensualité mais virilité toujours.
D'où notre difficulté à comprendre le discours victimaire anti-amour des LGBT and co d'aujourd'hui. Leur doxa imposée : non seulement le placard est une honte, une injure faite aux homos qui s'assument et souffrent parfois le martyre, mais l'attirance pour les personnes du même sexe induit que l'attiré est une anomalie puisque sa vraie nature est féminine. Il doit donc de considérer ni mâle ni femelle, mais autre ou pire, il est une femme, donc il doit envisager de se faire opérer... Je sais, je caricature. Pourtant, cette obsession de la déconstruction et cette obsession de sacraliser la victimisation semble nous conduire dans le mur, celui que dressent la haine et l'hypocrisie...
Mais revenons à notre première fois, complète, sur le campus de Columbia... Tu m'attendais, assis sur ton lit. A peine revenu de la douche, simplement vêtu d'un slip blanc et d'un t-shirt. Tu essuyais tes jambes où couraient encore quelques gouttes d'eau ; tes cheveux mouillés bouclaient et te tombaient sur les yeux. Quand je suis rentré, tu as levé les yeux et tu m'as souri. Ce sourire, je le vois chaque jour plein de fois mais c'est toujours un bonheur de sentir qu'il m'est adressé et qu'il me dit mille mots d'amour... J'avais devant moi l'Amour et la Beauté !
- Que me vaut l'honneur ? Me lança-t-il en clignant des yeux. - Je t'aime ! lui ai-je dit. J'en suis malade ! Vite, guéris-moi ! Pathétique ce romantisme de midinette, ai-je pensé mais nous étions très jeunes et très amoureux. Nous le sommes encore.
Il s'est levé et m'a enlacé. Je lui ai pris la bouche. De ce point de jonction, par nos lèvres unies, des vibrations électriques se répandirent en nous et nous firent vibrer comme jamais auparavant. Au bout d'un moment, je me suis écarté et me suis déshabillé. Lui, sans me quitter des yeux, arracha son t-shirt avec une sorte de rage, comme si le mince tissu de coton eut été une convention dont il était pressé de se dépouiller pour surgir enfin devant moi dans sa vérité animale. Le slip traversa la chambre dans un vol de mouette pour atterrir sur la commode. Un homme un instant immobile face à un autre homme nu, l'un blond l'autre brun. Tous deux royaux, impudiques, les bras ouverts, les jambes écartées. Mes yeux étaient fixés sur Mark, sur son cou et ses épaules, sur son bas-ventre marqué d'une toison blonde, avec une corne de chair dressée au milieu. J'étais dans le même état d'excitation et de désir.
Fascinés tous les deux par le corps de l'autre soudain découvert et qui se livrait enfin. Jusque-là, ensemble depuis plusieurs semaines, jamais encore, nous n'avions franchi le cap. Nos effusions transies s'interrompaient toujours quand nous sentions approcher la limite où le corps ne sait plus, ne peut plus retenir désir. Cette fois, nous allions nous connaître au sens biblique...
Nous nous regardions avec la même tendresse et la même voracité. Comment avions-nous pu craindre cette rencontre alors que notre chair la réclamait ? Nous étions chacun face au tendre assassin, émus, excités... Hésitants encore. Il y avait un contraste sauvage et somptueux entre nos cheveux assez longs à l'époque et nos sexes dardés. Encore une seconde, et ce fut le contact des corps. Un bonheur électrique nous parcourut, si vif que Mark poussa un cri de saisissement. Je le couchais sur le lit. Il fermait à demi les yeux. Il m'empoigna et se coucha sur moi. À mon tour je fermais les yeux, lui me regardait avec dans ses yeux embués une immense tendresse, tandis que sa bouche humide et charnue se promenait sur mes épaules, sur ma poitrine, sur mes reins, sur mon ventre et au creux de mes hanches. Puis ce fut mon tour d'être sur lui, chacun de nos membres enlacés. Le plaisir nous tordait des talons à la nuque...
à suivre...
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