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05 février 2012

Jours d'hiver (1)

L'hiver favorise l'intimité. On a davantage besoin de se retrouver. Le froid dehors pousse au cocooning. Quand cela se fait à deux, c'est mieux. Ici, bien qu'habitués aux frimas, nous passons toujours par une période d'hébétude où se lever le matin pour se doucher, s'habiller, puis sortir et se rendre à son travail sont autant d'actions pesantes. Je resterai bien au lit et le lundi est un jour difficile. Mais peu à peu l'enthousiasme et l'optimisme reprennent le dessus. Les joies de l'hiver new-yorkais sont multiples. Les animaux nous montrent l'exemple : Brinkley qui adore sortir jusqu'au parc voisin, se précipité désormais pour faire sa petite ballade hygiénique et remonter à l'appartement. Aussitôt franchie le seuil, il se jette sur son coussin, près du radiateur, au pied de mon bureau. Quant au chat, il lisse sa belle fourrure d'hiver devant la fenêtre de la cuisine, confortablement assis sur la pile de livres de cuisine, lui aussi près d'un radiateur. Il ronronne de bonheur en voyant la neige tomber et les rares passants en bas dans la rue qui se pressent de rentrer chez eux. Ajoutez à cela la voix suave de Billie Holiday, la beauté de la lumière que diffusent les lampes du salon avec leurs abats-jours orangés, le parfum d'ambre et de cannelle qui se mêle à l'odeur de cire... vous aurez une idée de l'idée que je me fais du paradis. Et ce paradis, bien modeste aux yeux de certains, c'est le lieu où nous vivons.
Les soirées musique succèdent aux repas entre copains. Cuisine italienne ou cuisine française. Verres de vins servis au coin du feu le soir. Discussions avec le petit frère de plus en plus présent et qui joue un peu le rôle d'un fils, espiègle et complice. Ambiance laborieuse aussi quand je dois terminer la correction d'un rapport financier ou que Mark a un dossier à présenter. Il a récemment planché sur l'école de New York dans les années 60 avec la poésie de Frank O'Hara que nous nous sommes amusés à traduire. Des amis viennent parfois passer la soirée. J'ai réussi à imposer - un peu - les horaires français et nous prenons l'apéritif vers 19 heures 30 pour dîner ensuite vers 21 heures. Dîner à 17 heures comme à l'armée ou dans les hôpitaux ne m'a jamais vraiment convenu. Mais "when in Rome...".
Et les nuits se font douces, tendres et lascives. Le grand lit confortable abrite de doux moments qui rendent la vie plus légère et l'avenir plus doux. Cela ne se raconte pas, mais se devine. Notre amour grandit au fil des jours et les saisons renforcent notre lien. Il nous préserve de cette vie hachée et cahotique que mènent bien des homos. D'aucuns veulent expliquer leur instabilité et la frénésie de rencontres et d'expériences sexuelles par un besoin de reconnaissance, une sorte de militantisme par l'exemple. Je n'en crois rien. J'aime les garçons et la relation amoureuse que j'entretiens avec celui qui partage ma vie depuis de nombreux mois suffit à nous combler. Nous formons un couple sans qu'il y ait un homme et une femme. Nous sommes deux garçons qui s'aiment et ont choisi de vivre ensemble. Point. Nul besoin de dragues et autres désirs sombres qui pousseraient l'un d'entre nous - où nous pousseraient tous les deux - à chercher l'aventure d'un soir. Baiser pour baiser, sauter sur tout ce qui bouge pour peu que les atouts entraperçus soient appétissants. Relations "kleenex" que j'abhorre depuis toujours. L'amour est une alchimie très complexe. L'amour des garçons l'est encore davantage. D'autres ont bien mieux écrit que moi sur ce sujet. En tout cas, et pour revenir à mon sujet à moi, l'hiver amplifie notre amour et notre tendresse. Vous l'aurez deviné, si j'aime le soleil et la douce chaleur de l'été, j'aime aussi beaucoup l'hiver...