"Toutes les particularités dont Achille se souvenait en pensant à Patrocle: sa
pâleur, ses épaules rigides, un rien remontées, ses mains toujours un
peu froides, le poids de son corps croulant dans le sommeil avec une
densité de pierre acquéraient enfin leur plein sens d'attributs
posthumes, comme si Patrocle n'avait été vivant qu'une ébauche de
cadavre."
(Marguerite Yourcenar, Feux)
Je lisais ce matin deux ouvrages très différents mais que j'ai associé dans mon esprit au point de vouloir en parler sur ce blog comme d'une seule et même idée : l'amour et l'attirance physique de deux garçons, jeunes adultes à peine sortis de l'enfance. D'un côté l'aventure amicale mythique du héros Achille et de son alter ego Patrocle, la mort de ce dernier et la douleur d'Achille, dans le roman "The songs of Achille" de Madeline Miller, qui a reçu en 2012 le fameux Orange Prize of Fiction ( publié en français sous le titre "Le Chant d'Achille"). De l'autre la surprenante lecture de "Deux Garçons", de Philippe Mazescaze, un auteur français qui a la particularité ainsi révélée par son livre d'avoir été le premier amant en même temps que le premier amour d'Hervé Guibert du temps de leurs aventures communes à l'école de théâtre de La Rochelle. Philippe avait 17 ans, Hervé à peine 14 ans. Deux beaux récits et l'adjectif est bien mal choisi. Guibert, disparu en 1991 du Sida est selon moi un des écrivains majeurs de la dernière partie du XXe siècle. Il parle dans "Mes parents" de cette période rochelaise où il joua Scipion avec "l'éphèbe transi", son aîné Philippe qui interprétait Caligula.
Deux émouvantes lectures quand on a soi-même vécu des relations d'une telle force, d'une densité aussi bouleversante que ce qui se dévoile au fil des pages de ces deux ouvrages. L'histoire des deux adolescents français qui ressemblent tant à ce que nous étions, ces être si semblables à ceux que nous fûmes et que nous aurions pu croiser au lycée, au théâtre ou dans un café... Le texte de l'américain transporte dans un univers mythique mais qu'elle parvient à rendre proche, familier, alors qu'on sait si peu de la vie quotidienne en Grèce... Ces deux livres (celui de Miller fait plus de 300 pages) alors que le roman-récit de Philippe Mezescaze n'en fait que 128. Il est élégant ce petit livre avec sa couverture soignée comme en concocte le Mercure de France, l'éditeur, avec un bandeau bleu plus soutenu qui présent la photo des deux protagonistes, splendides et rayonnants visages dévolus naturellement aux amours intenses et fortes. Comme Patrocle avec Achille.
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"We two boys together clinging,One the other never leaving,Up and down the roads going, North and South excursions making,Power enjoying, elbows stretching, fingers clutching,Arm'd and fearless, eating, drinking, sleeping, loving.No law less than ourselves owning, sailing, soldiering, thieving,threatening,Misers, menials, priests alarming, air breathing, water drinking, on the turf or the sea-beach dancing,Cities wrenching, ease scorning, statutes mocking, feebleness chasing,Fulfilling our foray."
"Nous deux, garçons inséparables, Jamais ne nous quittant, Toujours sur les routes, en randonnées du Nord au Sud, Jouissant de notre vigueur, jouant des coudes, serrant les poings,Armés et sans crainte, mangeant, buvant, dormant, faisant l’amour, Sans autre
loi que la nôtre, naviguant, guerroyant, dérobant, menaçant, Inquiétant l’avare, le domestique, le curé, respirant l’air, buvant l’eau, dansant dans les prés ou sur la plage, Arrachant les cités de leur fondement, méprisant la facilité, nous moquant des lois, poursuivant la médiocrité, Jusqu’au bout de notre expédition."
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