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29 mars 2021

Eros


 

Par un matin tranquille, Thomas...

 

 
 
Cette image retrouvée. Paris, rue de l'Isly, Nous nous étions rencontrés à sciences Po. Lui était en première année et je m'apprêtais à passer le diplôme. Le courant passa en un instant. Les jours passés ensemble à réviser firent le reste. Ses parents habitaient Paris. Je l'invitais à la propriété pour réviser pendant les vacances de Pâques. Il me rendit la politesse en me proposant de passer ensuite quelques jours chez ses parents qui voyageaient en Égypte. 
 
Une longue semaine studieuse et crapuleuse... Je me souviens... J'aimais tellement le regarder, l'entendre parler et suivre cette manière qu'il avait de se mouvoir dans l'espace, les gestes élégants, l'allure posée, virile. L'élégance même, naturellement héritée de sa famille patricienne. Tout me revient, la beauté de son dos si souvent caressé, le souvenir de sa peau douce et veloutée, son odeur, mélange irrésistible d'ambre, de violette et de vanille qui parfumait mon désir comme aujourd'hui encore il parfume ma mémoire. Ce n'était plus tout à fait un adolescent mais il en avait gardé la clarté irisée et laiteuse, jusque dans ses yeux qu'ornaient de longs cils dorés.
 
Il parlait beaucoup, me disait ses rêves et ses envies. Il y avait dans ses mots, la peur du monde adulte, avec ses contraintes et ses échecs. Il me disait qu'avec moi à ses côtés, il se sentait fort et que je l'inspirais... Il décuplait ma joie et cela rejaillissait sur notre relation. Elle fut joyeuse, douce, ardente et... secrète. J'étais le premier garçon... à la fois, frère, ami, amant, protecteur et compagnon de jeux. Avant lui, je n'avais jamais autant aimé...

Je me souviens de la dernière fois où nous fûmes ensemble et seuls. Son frère aîné devait arriver le lendemain matin avec sa fiancée, j'avais mon train en début d'après-midi. Pour notre dernière journée ensemble, nous avions décidé de rendre visite aux grecs et aux romains du Louvre. Cela avait duré toute la matinée. Après une étape-déjeuner sous les frondaisons du Palais-Royal nous avions longtemps marché dans les rues de Paris. 
 
La ville s'offrait au printemps tout neuf. Il faisait doux. Notre désir montait. Le reste de la journée se passa dans son lit. Assouvis, nous nous étions assoupis dans les bras l'un de l'autre. Soudain, il se redressa et tourné vers la fenêtre, il se figea. Il se leva et sa nudité auréolée par la lumière de la rue m'apparut dans toute sa splendeur de jeune dieu. 
 
- Mon jeune dieu, tu es mon jeune dieu !, me suis-je entendu dire. 
 
Il se retourna et en souriant me dit d'une voix si gentille :
 
- Non, c'est toi. Tu es le dieu, le mien. Je ne suis qu'un demi-dieu et plus rien sans toi !
 
Il avait entendu du bruit et s'inquiétait que ce fut son frère arrivant plus tôt que prévu. La romance en solitaire touchait à sa fin. Il nous restait si peu de temps dans la solitude délicieuse de la maison pour vivre sans contrainte notre amour... Mais tout est demeuré dans ma mémoire...
 
Nous avons dîné, bu du thé très fort, et la nuit fut lumineuse comme le fut notre réveil au matin... Notre dernier matin... Nous ne nous sommes plus jamais revus. J'ai appris quelques semaines plus tard qu'il avait été renversé par une voiture, non loin de chez lui. Il avait été transporté à l'hôpital dans un état grave. il mourut quelques heures plus tard. Nous devions partir en Grèce après les examens... 
 
A la radio, au moment où je termine ces lignes, la chanson "Here comes the sun" par George Harrison, si souvent écoute en prenant du thé dans la cuisine de la rue d'Isly ce printemps-là...