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08 décembre 2024

Le sommeil du juste et de l'heureux...

 
C'est bientôt l'hiver. Comme les ours et les marmottes, l'humain sent l'impérieux besoin de ralentir la machine et de dormir. Les jours sont courts, le soir est vite là, tout s'assombrit soudain et la nuit vient. Cela m'a donné l'idée d'une galerie de portraits de garçons et de jeunes hommes dormant. Chut, pas de bruit ! Respectons leur sommeil. Mais rien n'empêche de rendre hommage à la beauté d'un corps apaisé, dans les bras de Morphée.

 
"Je retrouve une tête inclinée sous une chevelure nocturne, des yeux que l’allongement des paupières faisait paraître obliques, un jeune visage large et comme couché". C'est ainsi que ma chère biographe traduisit l'image que du haut de mes quarante ans passés, moi l'empereur au faîte de la gloire et de la puissance, je souhaitais transmettre de mon jeune amant, ce jeune Bithynien pur et innocent de seize ans qui rentra soudain dans ma vie et que j'ai éperdument aimé, avec qui je partageais quatre années merveilleuses, jusqu'à son sacrifice. par amour pour moi. Il n'avait pas encore tout à fait vingt ans. 

J'aimais tant le regarder dans son sommeil. Après la lutte ou la course, après nos combats amoureux, il sombrait soudain dans un sommeil profond. son visage retrouvait toute la fraîcheur de l'enfance, ses lèvres pâlissaient, ses muscles se détendaient. Le plus souvent étendu à plat-ventre, la jambe droite repliée, sa tête tournée vers le coin le plus sombre de la chambre, les bras entourant le coussin sur lequel ses belles boucles s'étalaient. 

 

Il gémissait parfois, comme un jeune chien qui rêve. La fougue de la puberté jaillissait souvent au milieu d'un rêve et quand il se tournait, son sexe soudain dressé semblait attendre, dans son rêve, ma caresse ou un baiser. Tout en lui était attendrissant et toujours beau à contempler. Tout ce qui émanait de lui était propre et pur. L'aimer était une purification, un délice qui me semblait être soudain l'égal aux dieux.

 
A te regarder dormir, cette image à jamais présente dans ma mémoire, tu restes pour moi le visage parfait, ta beauté était un rêve envoyé par les dieux. Oui, c'est cela, tu étais la figure parfaite, créée et offerte au plaisir joyeux des amants par les dieux. C’est ainsi que tu restes pour moi, et que ma poésie te chante quand m'accompagne à la lyre cet esclave aux cheveux clairs qui te pleure encore.
 
 
 
Ce sont mes larmes que le devoir m'interdit de laisser couler devant le peuple qui ne comprendrait guère que l'empereur continue de souffrir de ton sacrifice, ô mon divin, mon bel amour. Lui peut à discrétion se souvenir des doux moments où vous luttiez ensemble au gymnase, aux baisers que tu lui donnais pour te faire pardonner ta victoire à chaque fois, la supériorité de ta force. Il boudait souvent quand il sentait qu'il ne gagnerait pas. 
 
 
Je voyais bien tes efforts pour le laisser te dépasser et gagner à son tour. Antinoüs, ton cœur était immensément rempli d'amour. Sa victoire à la course, la dernière avant que le Nil ne t'accueille et te ravisse à moi. Tu avais ralenti en me regardant, tes yeux pétillaient à l'idée de la joie que tu lui ferait. Les lauriers qui t'étaient destinés, tu les as toi-même déposé sur sa belle chevelure. quelques heures plus tard, je t'ai vu déposer ton trophée sur son catafalque. J'ai ordonnée que la couronne qui comptait tant pour lui soit mise dans son sarcophage.


Cette image d'un garçon qui dort sur une plage me rappelle ce texte de Cavafy, "Sur la jetée", qui date de 1920  (Στην Προκυμαία pour faire savant sans prétention ni arrogance aucune !) : "Nuit enivrante, obscurité sur la jetée. Puis, dans la petite chambre de l’hôtel de passe — où nous nous sommes pleinement livrés à notre passion maladive ; pendant toutes ces heures, livrés à notre amour, jusqu’au moment où le jour nouveau éclaira les vitres."