Longtemps je suis resté un adolescent renfrogné et timide. Grandir fils de notables dans un pays aussi arriéré que le Médoc n'avait pas que des avantages. Il fallait se tenir en se gardant de toute arrogance. Ressembler aux autres et se fondre dans la masse de la cour de récréation représentait un challenge. Je modelais et musclais mon corps dans notre propre piscine, en montant nos chevaux et en skiant dans les alpes ou à Baqueira en Espagne. Cela rendait les autres jaloux et méchants parfois. J'étais trop fin, trop doux, trop souvent plongé dans mes livres pour ne pas attirer la hargne des fils d'ouvriers agricoles du coin qui essayèrent plus d'une fois de me casser la figure. Pour rien d'autre que ce que j'étais et qu'ils ne supportaient pas, sentant d'instinct que le jeu était inégal.
J'avais cependant un véritable ami, rencontre les premier jour de notre première année d'école. Cadet d'une fratrie de cinq garçons et deux filles, il habitait la propriété à côté de la notre. Sa famille n'était pas dans le vin. Son père dirigeait la fabrique de bouteilles installée à l'entrée du bourg. Nous allions au catéchisme ensemble amenés à tour de rôle par nos mères. Les deux familles se voyaient assez souvent. Gilles fut mon premier ami. Il l'est resté même si nous ne nous voyons plus beaucoup. Ingénieur, il vit en Allemagne maintenant où il travaille pour Siemens.
Mais venons-en à mes 20 ans. Puceau ou presque jusqu'à l'université, apparemment indifférent aux choses de l'amour et peu porté sur la chose... C'est du moins, le masque que je portais. Aux yeux de tous, j'étais un pur esprit, un prétentieux qui ne trouvait jamais rien d'assez bien pour lui. Les filles et les garçons de mon entourage ne cherchaient plus depuis belle lurette à me séduire mais je sentais bien que je laissais rarement indifférent. N'évitais soigneusement les boîtes de nuits, les soirées étudiantes, les virées nocturnes dans les bars et quand je ne pouvais y échapper, je fuyais toute occasion de me retrouver seul à seul avec quelqu'un. Pourtant j'ai toujours été terriblement gourmand des plaisirs que la chair offre à notre ardeur. J'ai toujours cependant eu cette réserve liée à la peur profondément ancrée en moi de ne plus parvenir à garder la maîtrise de moi-même, de mes pulsions et de mes besoins. La puissance du désir quand il s'enclenche est difficilement contrôlable. A un certain niveau, le plaisir ne peut plus être réfréné. Ce constat suffisait pour que je m'abstienne totalement de toute relation physique complète avec un ou une autre.
J'allais parfois très loin dans mes flirts, aussi loin que mon corps pouvait le tolérer sans qu'il se laisse aller à l'explosion finale. Certains auteurs parlent de l'orgasme comme d'une petite mort. Je ne voulais pas me contenter de ces petites morts et je sentais bien qu'à trop souvent les reproduire, on devait se lasser et de mes diverses expériences, certes peu poussées au-delà d'un plaisir partagé que je laissais éclater trop vite, je gardais cette défiance qui me préserva des abus dans lesquels la plupart de mes amis d'alors noyaient leurs talents. Ni prise ni bégueule, j'étais seulement arrogant. Je voulais vivre l'Amour absolu, vivre avec l'autre,, l'unique, le plaisir le plus profond, le plus éclatant à l'égal de celui des dieux. Je voulais être un dieu. Mais toutes ces considérations volèrent en éclat quand je le rencontrais.
Appelons-le Rémi. Il débarqua dans ma vie avec la nouvelle année universitaire, la deuxième. Nous avions le même âge à quelques mois près. Plus grand que moi, brun boucle, de longs cils de fille encadrant un regard d'un vert incroyable qui tenait autant du félin que de l'améthyste ou plutôt du vert de l'eau d'une rivière quand l'orage gronde et intensifie toute chose. Je revois son sourire éclatant, ses dents blanches et ses lèvres pourpres et épaisses. Cultivé, brillant, parisien plein de gouaille, pianiste fou d Chopin, doté d'une mémoire incroyable et doté d'une voix chaude qui pouvait se faire caressante quand il désirait n'obtenir quelque chose. Nous ns sommes plu aussitôt. Ses parents lui louaient un studio en ville. Son appartement était sur mon chemin. Je pris l'habitude de faire la route avec lui. En bus, en vélo ou à pieds. Bien vite nous fûmes inséparables. Et vint la révélation.
Ce garçon très sportif, à la voix et l'allure on ne peut plus viriles s'aventura. C'était un soir de janvier où nous révisions nos partiels. Nous étions.assis côte à côte au pied de son lit. Il se pencha soudain vers moi et m'embrassa dans le cou tout en posant sa main gauche sur ma cuisse tandis que l'autre prenait mon épaule. Après une fraction de seconde ou mon corps de raidit, je lâchais prise. Tournant la tête vers lui, la bouche entrouverte par la surprise ou l'émotion, je lui rendais son baiser. Nos lèvres se joignirent pour la première fois. Je ne crois pas que nos gestes étaient dictés par notre pensée. Chacun était juste et précis, comme longtemps prémédité, alors que jamais nous n'avions envisagé cela entre nous. Et pour ma part, sans que je puisse imaginer ce que c'était que vivre réellement l'amour physique...
Ma passion pour l'amitié depuis toujours me faisait rechercher des alter ego mais le sexe, le désir n'étaient jamais entrés en ligne de compte. Le désir n'était pas un critère... Ce fut ma première véritable nuit d'amour, ardente et passionnée. Par trois fois le plaisir fit éclater nos cerveaux. Le réveil au matin, lovés dans les bras l'un de l'autre vit notre ardeur rejaillir. Cela dura dix jours. Nous fîmes l'amour souvent, sans plus penser à autre chose qu'à cet appétit vorace qui nous avait pris tous deux. Puis nous nous sommes lassés. Il y avait les examens, les vacances et pour lui, la pression familiale. On insistait beaucoup à table sur ses fréquentations. Son père le voulait viril et ne rêvait que de le savoir amoureux d'une de ses jolies cousines et leurs amies qu'il fréquentait l'été à l'île de Ré...à suivre.