Passé inaperçu ou presque cet été, au milieu des super-productions à mastiquer en même temps que le pop corn vendu dans les salles, ce film est un bijou, bien meilleur que Brokeback Mountain, parce que plus intense encore, plus vrai dans son rapport à la passion amoureuse. Et bien que les deux héros soient du même sexe, la leçon est universelle. l'amour reste toujours l'amour quelque soit le sexe des protagonistes ! Cette chronique d’une longue et violente rupture amoureuse,
entre souvenirs autobiographiques du cinéaste et souffle romanesque. est vraiment l’un des plus beaux films indépendants américains depuis longtemps.
Qu’est-ce qui fait qu’une photographie est réussie ? Dans son précieux essai L’Image fantôme (1981), Hervé
Guibert, qui revendiquait tel un mantra son amateurisme en matière de
technique, écrivait qu’une bonne photographie est nécessairement “fidèle au souvenir de l’émotion” éprouvée au moment précis du déclenchement de l’appareil, et qu’elle ouvre un accès à “l’intériorité de l’auteur”, perceptible par l’œil étranger. La formule pourrait aussi bien s’appliquer au cinéma autobiographique
de l’Américain Ira Sachs pour dire la vibration saisissante de son
quatrième et plus beau film, Keep the Lights on.
Révélé dans les années 90 par un court métrage dopé aux travaux vidéo d'AndyWarhol (Lady), puis devenu l’une des figures clés du cinéma indépendant américain (on lui doit le superbe et secret The Delta),
le cinéaste revient ici sur un long chapitre de sa vie sentimentale,
avec pour double projet de restituer la vérité d’un souvenir douloureux
et - c’est le propre de l’écriture sur soi - tenter de s’en libérer. Ira
Sachs évoque un geste “exutoire”.
Keep the Lights on découvre donc deux jeunes et beaux
personnages new-yorkais au seuil de leur rencontre : Erik, un
documentariste un peu caméléon, tantôt animal brusque tantôt garçon
délicat (soit l’alias du réalisateur, incarné par le très fort Thure
Lindhardt), et son amant Paul, un agent littéraire plus ombrageux qui
défie la mort dans la consommation frénétique de crack.
C’est à l’écrivain Bill Clegg que l’on pense forcément ici, l’ancien amant de l'auteur in real life, qui a témoigné de sa descente aux paradis artificiels dans le récent Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme (Éditions Jacqueline Chambon), dont Keep the Lights on est une réponse désenchantée.
Le film débute sans illusion au moment de leur premier baiser,
au hasard d'une nuit brûlante de 1998, et s’achèvera dix ans plus tard par la
rupture sans éclats du couple, vaincu par le temps, la défonce et la
distance. Entre ces deux instants, Ira Sachs
aura déplié une fresque
sentimentale comme le cinéma américain n’en produit - malheureusement -
presque plus : un long parcours accidenté fait de séparations et de
retrouvailles, de promesses et de démissions, toutes saisies dans un
enchaînement de séquences autonomes formant un journal de bord aux
humeurs indécises.
La folle ampleur romanesque de Keep the Lights on, qui fait
courir ses deux amants entre les siècles et les catastrophes (le 11
Septembre, sans être mentionné directement, semble soudain glacer
l’image en 16 mm, et assombrir les rues de New York), évoque par endroits
celle des Bien-Aimés de Christophe Honoré (2011), où l’on
s’interrogeait aussi sur l’instabilité du sentiment amoureux, et où le
glissement du temps se signalait également en arrière-plan.
Mais ce qui obsède Ira Sachs, comme avant lui Honoré, ce sont surtout
les fluctuations intimes qui affectent ses deux personnages, leur
ordinaire dirait-on, qu’il restitue avec une rare acuité : tout, des
gestes les plus simples aux bourrasques affectives, paraît extrait d’un
souvenir encore vif, d’une émotion réelle qu’il s’agirait enfin
d’exorciser. Car l’autofictif Keep the Lights on n’est au fond qu’un film
d’exorcisme : la chronique d’une rupture impossible et cruelle dans un
New York hanté par les figures de disparus et les ombres du passé.
Elles sont nombreuses ici, du génial musicien protéiforme Arthur
Russell, mort seul du sida en 1992, dont le folk endeuillé perle la
bande-son, au cinéaste underground Avery Willard, décédé dans
l’indifférence générale avant de voir le XXIe siècle – des extraits de
ses films scandent le récit. C’est dans cette atmosphère d’outre-tombe, au milieu de tous ces
fantômes avec lesquels il faut pour Ira Sachs réapprendre à vivre, que
le film s’épanouit, qu’il puise sa profonde et tenace mélancolie,
jusqu’à son épilogue désarmant : une séparation amoureuse enfin
consommée dans la lueur d’un petit matin, pareille à une sortie des
ténèbres. Keep the lights on : “Garde les lumières allumées”. (Commentaire largement inspiré d'une chronique parue en France dans Inrocks).
Allez, encore de quoi vous donner envie de courir voir ce film qui a toujours ici beaucoup de succès et qui a remporté un triomphe à Londres le mois dernier, avec le making-of du film (des bribes), qui sera en entier sur le DVD de Peccadillo Pictures (prévu début 2013) filmé par Jean Christophe Husson. Edited by Alix Diaconis. Music by Daniel Quinn :
En France aussi on l'a pas mal vu finalement mais le sujet continue de choquer. Pour le politiquement correct, deux hommes jeunes et beaux qui s'aiment passionnément et longtemps, cela ne peut pas exister. Il n'y a que des folles tordues seulement capables de remuer du popotin toutes vêtues de rose fluo à la Gay Pride ou des amateurs vicelards de plans hard d'un soir. Une belle leçon que ce film qui montre que l'amour est plus fort que tout, qu'il est souffrance mais en même temps qu'il rédime et grandit. C'est d'ailleurs le discours - mal compris et méconnu - de l’Église catholique qui ne condamne pas l’homosexualité en tant que sentiment amoureux (comment pourrait-elle condamner l'amour même sous une forme différente ?) mais qui récuse le désordre physique qui trop souvent préside à ce type de relations. Un ami prête ici à New York ne fait que répéter cela et combien il dit vrai !
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