Antinoüs n’est qu’un enfant de seize ans lorsque il entre dans la vie de l'empereur. Hadrien quand il le remarque ne sait pas encore que le bel adolescent grec deviendra la grande passion de sa vie et qu'il en sera marqué à jamais. Nul n'imagine alors que ce garçon venu d'une province reculée de l'empire sera le personnage le plus représenté dont les traits sont parvenus jusqu'à nous et qu'il demeure présent dans l'esprit des hommes au point que son visage est aussi familier que des héros modernes.
Au moment de cette rencontre, la vie d'Hadrien est au zénith. Dans les Mémoires, Marguerite Yourcenar utilise la métaphore de la lumière comme liée au sentiment de bonheur. Tout n’est qu’ "ensoleillement", "délices", "volupté", "atmosphère d’or" et de "plaisir".
Hadrien, à quarante-quatre ans, il ne connaît de l’amour que le désir et son assouvissement. Ses liaisons jusque là n'étaient que passagères, ses attirances impérieuses et éphémères. Soudain, saisi par la grâce apollinienne d’Antinoüs, il en fait son amant et tout son univers en sera changé. Il aimera et sera aimé, bien qu'il semble vite se lasser du dévouement absolu que lui voue bientôt le garçon, il ne s’éprend pas moins violemment du jeune homme qui occupe ses nuits, son coeur et son esprit.
Né en Bithynie, Antinoüs est donc grec et il est très beau :
"Je retrouve une tête inclinée sous une chevelure nocturne, des yeux que l’allongement des paupières faisait paraître obliques, un jeune visage large et comme couché."
C'est encore un enfant, innocent et plein de grâce. Il manque d’expérience, sa crédulité et son ignorance. ajoutent à son charme. Ce n'est pas un courtisan. "Il était peu lettré, ignorant de presque tout, réfléchi, crédule". Son attribut premier semble être le silence. Parce qu'il est impressionné par l'empereur, maître du monde, parce qu'il sait ne pas avoir beaucoup de culture. Certainement aussi parce que son amour pour Hadrien est renforcé par une profondeur d'esprit rare chez un adolescent.
Hadrien, attiré par sa beauté et son innocence, ne voit tout d’abord en lui qu’un jeune être malléable et obéissant. Ses associations peuvent d’ailleurs paraître quelque peu choquantes, surtout au regard de la passion qui les unira ensuite. Il le compare à un animal :
"Ce beau lévrier avide de caresses et d’ordres se coucha sur ma vie"
ou bien :
"Les jambes un peu lourdes du poulain se sont allongées », à un végétal :
"ce tendre corps s’est modifié sans cesse, à la façon d’une plante."
ou encore à une statue :
"Je réduis cette jeune figure aux proportions d’une statuette de cire que j’aurais pétrie, puis écrasée entre mes mains".
Jeunesse et idéalisme vont de pair chez Antinoüs qui voue à Hadrien, pendant les quatre années qu’ils partagent ensemble, un amour sincère et exclusif malgré la cruauté répétée dont l’empereur fait preuve à son encontre. L'empereur, mis mal à l’aise par l'incroyable force des sentiments qu'Antinoüs éprouve pour lui, peu habitué à l’authenticité dans ce domaine, affirme son pouvoir et sa liberté de cœur en forçant le jeune homme à supporter ses caprices et d’autres amours de passage.
"J’obligeai l’objet aimé à subir la présence d’une courtisane (…) son dégoût alla jusqu’aux nausées puis il s’habitua.".
Considéré un temps comme simple « objet » sexuel et non comme une « personne », dévalorisé voire même déshumanisé dans l'esprit et les actes d'Hadrien qui impose à Antinoüs la présdence d'un autre amant, Lucius :
"l’intimité auquel je les forçais augmentait leur aversion l’un pour l’autre."
Parfois même, Hadrien frappe le bythinien, rabaissé, blessé moralement et le traite plus mal que ses chiens :
"Je tournai en dérision ses fidélités passionnées qui fleurissent surtout dans les livres ; le bel être insulté rougit jusqu’au sang."
Pourtant, la passion d'Antinoüs ne faiblira jamais. Plus tard et paradoxalement, Hadrien affirmera, en repensant à son comportement et à ses nombreuses infidélités :
"Je n’aimais pas moins, j’aimais plus."
Période faste assurément dont Hadrien goûte à tous moments les
délices. Alors qu’il se trouve au sommet de l’Etna, il décrit en quelques mots l’arrivée de l’aube, symbole de son apogée, de cet âge sacré où alors tout lui sourit :
"Elle vint ; une immense écharpe d’Iris se déploya d’un horizon à l’autre ; d’étranges feux brillèrent sur les glaces du sommet ; l’espace terrestre et marin s’ouvrit au regard jusqu’à l’Afrique visible et la Grèce devinée. Ce fut l’une des cimes de ma vie. Rien n’y manqua, ni la grange dorée d’un nuage, ni les aigles, ni l’échanson d’immortalité."
La figure de Ganymède, l'échanson d'immortalité évoque celle d’Antinoüs.
Cependant, aux succès et à l’amour vinrent se greffer la
perte et la douleur. Antinoüs, Idéaliste et exalté, sacrifiera
sa vie à sa passion et se suicidera. Les mauvais esprits d'aujourd'hui - mais déjà sous le règne d'Hadrien...- sous-entendraient que cette affaire n'est pas claire et qu'un meurtre au nom de la raison d'Etat aurait été ainsi déguisé en suicide, au nom d'une mystique alors en vogue autour du culte d'Osiris... Rumeurs sans fondement ? Complotisme avant l'heure ?
Mourir pour l’être aimé, au sommet de sa gloire, c’est s’assurer l’éternité d’un sentiment trop souvent fugace et qui aurait pu n'être plus avec le temps, qu'une lointaine amitié ou pire sombrer dans l’indifférence. Mourir pour l’être aimé, c’était transformer son amour en œuvre d’art
"Je n’ai pas droit de déprécier le singulier chef-d’œuvre que fut son départ", dira Hadrien qui ordonnera que son favori disparu soit considéré comme un dieu et que les peuples de l'Empire lui vouent éternellement un culte solennel.