La scène est authentique et cela m'a fait rire. On eut dit un extrait de film d'anticipation ou bien un de ces films des années 50-0, un peu expérimental, à la Orson Welles ou même Cocteau, très esthétique. La rue la plus passante et animée du monde était presque silencieuse. Vide. cela n'a pas duré plus d'une ou deux minutes. Comme un miracle. et c'est en noir et blanc que j'en garde le souvenir (peut-être à cause du cinéma des années 50-60). La photographie géante d'un garçon torse-nu et en sous-vêtement qui ornait l'échafaudage d'un immeuble, et deux vieilles femmes qui passaient sans regarder, traînant de gros sacs derrière elle, et une petite fille en sens inverse qui couraient pour rejoindre sa mère ou sa nounou. Une lumière très particulière, comme l'été après une pluie d'orage. Et l'absence de voitures le temps de cet instantané qui me sauta aux yeux. J'aurai aimé avoir un appareil photo avec moi. Aurais-je pu traduire la poésie de ce tableau qui s'offrit à ma contemplation ? Quelle surprise de découvrir quelques temps après ce cliché qui ressemble un peu au souvenir de la vision que j'avais eu, au même endroit...
06 mars 2006
Zabar's
Mon supermarché préféré. On y trouve les meilleurs
fromages italiens de tout New York, des huiles d'olive délicieuses, des pains
de mie à vous faire saliver dès que le grille-pain les avale. Les gens sont
super. J'y ai trouvé tout ce qu'il me fallait pour mes sushis mais aussi
l'année dernière pour faire cette terrine de pâté de volaille aux herbes. Vive
Zabar's !
C'est chez Zabar's que j'ai vu David pour la
première fois. Il était avec son frère. Benedict qui commençait le lycée. Il
n'avait pas encore cette assurance que le sport tel qu'on le pratique ici
apporte aux adolescents. C'est lui tout d'abord que j'avais remarqué.
Ce visage très fin plein de taches de rousseur,
puis (devant le rayon fromages), j'ai vu son frère, dégingandé, le sourcil
froncé qui expliquait quelque chose à ce jeune homme si beau. Très beau aussi,
de loin je ne distinguais pas vraiment son âge. Jeune homme ou homme jeune ? Le
sourire qu'il me fit quand, m'apercevant, il se rendit compte que j'observais
la scène : Benedict voulait un produit et David avait décidé d'en acheter un
autre. Le ton montait mais tout restait dans une nuance très britannique. J'ai
pensé soudain aux jeunes aristocrates rencontrés autrefois lors d'un séjour
dans une école anglaise. Nous nous sommes croisés cette semaine-là trois fois.
Plus que rare à New York. Mais il n'existe pas de hasard, ni à New York, ni
ailleurs !
Sushis & poésie, pizza & cinéma.
Stanley Turrentine accompagne ma préparation des
sushis dont nous allons nous régaler ce soir avec "gee Baby, ain't I good to you", cet air de blues que
j'adore. Il a fait froid mais très beau aujourd'hui. Je rentre en France jeudi.
Il ne me reste que quelques jours ici à profiter de l'atmosphère incroyable de
cette ville, de notre appartement et de nos copains avec qui j'ai passé un mois
formidable. Au programme : Vancouver, Montréal, Paris puis Londres et enfin
Bordeaux de nouveau. Plutôt la campagne bordelaise où je vais me reposer
quelques jours. ce sera vers la fin avril. En attendant, je profite de New
York, de Manhattan. Il y a eu, après le blizzard et nos aventures enneigées, la
découverte de deux ou trois nouveaux restaurants et petits cafés sympa, une
rencontre avec un proche de O'Hara qui m'a parlé longuement de lui. Je suis de
moins en moins chaud pour traduire ce monument de la poésie contemporaine
américaine. Il y a chez ce personnage un côté Pasolinien que j'aime peu. Cette
soif de fête, de baise. Cette instabilité avérée. Pourtant sa description du
quotidien new yorkais est géniale, ses vers sur les petites choses de tous les
jours sont fascinants... Quand je le lis je revois "smoke" ou
Manhattan de Woody Allen, je respire l'air qu'il a respiré et je comprends ce
qu'il a ressenti en se promenant dans les rues de la ville. Bon on verra, je
vais retourner à mes sushis.
Le rice cooker laisse échapper une douce odeur Ce
riz parfumé trouvé chez Zabar's est délicieux. Roy Orbison chante California
Blue. Vendredi, nous avons été avec Ben voir "Ultra Violet", un
nouveau film assez speed, mais efficace et hélas prémonitoire. Après le cinéma,
dîner chez Freddie and Pepper's, la pizzeria sur Amsterdam Avenue. Benedict a
un peu trop bu comme d'habitude. C'est incroyable comme ce garçon, qui n'a
aucun vice, peut facilement se mettre à boire. Il a bu à lui tout seul la
moitié du Valpolicella. Bon ça a des bons côtés : Comme d'habitude il devient
assez câlin dans ces moments-là. Il a fini par dormir presque à poil entre son
frère et moi, oubliant sa pudeur et se fichant de la gêne suscitée chez son
frère, toujours un peu offusqué des libertés de son frère ivre. Beau spectacle tout
de même que ce jeune éphèbe lisse et musclé, lové contre nous, en toute
innocence. Brinkley a fini par le déloger en lui léchant la figure vers une
heure du matin. Bien entendu le petit frère grognon, s'est levé en râlant après
le chien, assez fort pour nous réveiller. Tant mieux, cela nous a donné
quelques idées à David et à moi, une fois Ben reparti dans sa chambre...
14 février 2006
Merci blizzard !
Grâce au blizzard qui fige tout, au thermomètre qui
n'en finit pas de descendre, à ma direction qui a besoin de moi ici, je viens
de finir la troisième partie de ma traduction. Encore quelques semaines de
travail et le manuscrit sera prêt pour la correction. J'ai hâte de voir ce
poète lu en français. J’espère ne pas l'avoir trop trahi. La dernière
traduction que j'ai eu la joie de publier m'a valu les éloges des critiques
francophones du Canada. Si je pouvais faire de l'écriture mon premier job… Un
rêve… Rester ici et ne plus faire qu’écrire, ou bien partir nous installer dans
le Vermont et écrire. David est tombé en sortant de chez le pâtissier,
égratigné et décoiffé, il est de très méchante humeur. Une bonne douche va le
remettre d'aplomb et lui faire retrouver son fair-play de jeune homme de bonne
famille. Benedict se fiche de lui et a pris le journal sur la figure… Bon, PAX,
les enfants. Une tasse de thé et tout ira mieux. Tiens, Tony Bennett à la
radio, "that lucky old sun roll
around haven the all day", cela devrait aider !
Will s'intéresse à mes notes. Il aime bien le
Cavafy que je viens de lui acheter. Nous avons trouvé aussi un vieux vinyle
génial, la bande originale du show "Tom Brown's Schooldays", un
musical des années 70 qui a eu pas mal de succès ici à Broadway mais surtout à
Londres. Le chat et le chien ne font que dormir. La cuisine est un frigo, le
radiateur ne marche plus. Fawcy, l'homme d'entretien portoricain qui sourit
tout le temps, est venu voir mais l'engin semble mort. Nous faisons la cuisine
avec deux pulls. Cela change des hot cooking preparation de l'été dernier où, vêtus
seulement d’un caleçon sous le tablier, nous faisions des jeux olé olé, Dave et moi. Gros fous-rires et
désir s’exhalant au milieu des bonnes senteurs de nos plats...
Mais, ne rêvez-pas je ne vous dirai rien de plus.
Non mais. Il y a des mineurs ici qui pourraient comprendre mes billets en
français ! Ils sont bien assez éveillés cela étant, et je suis presque sûr que
quelque chose s'est passé entre eux ces derniers jours. Ben est maintenant un
peu agressif avec Will, mais il se radoucit très vite. Will est très patient,
très doux et presque câlin avec le petit frère...
Mon dieu, pas de prosélytisme. Dans la conversation
hier, Ben ne disait plus « je suis
hétéro » mais « c'est bien
d'être bi, ils ont l'esprit plus large et connaissent plus de trucs ». David
m'a regardé en retenant un fou rire. Restons sérieux, l'essentiel c'est qu'ils
soient équilibrés et heureux et tranquilles. Bon mais je ne suis pas leur mère,
moi.
Zut, ils ont terminé le cheesecake.
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