Dédié à Kynseker .
Le dimanche est souvent un jour où on se laisse aller au gré de sa paresse, sans contrainte ni obligation sociale. J'étais en train de lire dans mon lit, seul. David et Marc étaient sortis promener le
chien. Une tasse de thé brûlant sur la table à côté, deux ou trois revues, des livres, une BD de Tintin trouvée chez le bouquiniste près de la maison. J'avais envie de musique et j'ai allumé la radio au hasard. Une station classique.Le son à peine monté, une musique sublime se répandait dans la pièce. Une voix de femme chantait en allemand. Une cantate de Telemann. une voix connue. Je cherchais au fond de ma mémoire. Teresa Stich-Randall, et la cantate "Machet die tore weit". Et les murs de ma chambre, cet appartement à New York, la ville elle-même, tout disparut. Je me suis soudain retrouvé des années en arrière. C'était à Londres. je devais avoir dix sept ans à peine. Je passais beaucoup de temps cette année-là avec un jeune français de mon âge, fils de consul de je ne sais plus quel pays qui était venu comme moi parfaire sa pratique de l'anglais dans une de ces écoles pour jeunes nantis français. On s'y ennuyait beaucoup, parfois on s'amusait. beaucoup s'affranchissaient pour la première fois des parents et notre liberté était totale durant un long mois. Olivier m'avait plu tout de suite, dès l'embarquement à bord du ferry qui nous amenait à Douvres. nous avions vite sympathisé. Il était drôle, plein d'aplomb et son sourire me fit fondre. Je n'étais pas particulièrement attiré par les garçons en ce temps-là, bien que sensible à leur beauté. Je ne la remarquai vraiment que par comparaison à la mienne. L'âge manque d'assurance et un rien peut démonter le sentiment de fierté que nos jambes musclées, nos torses lisses et vivifiés par de nombreuses heures d'activité sportive. Regarder l'autre, c'était se comparer à lui, l'affronter virtuellement, mesure notre corps au sien. Lui m'avait plu aussitôt. Bref nous étions devenus amis. Nous allions souvent nous promener ensemble laissant les autres que nous trouvions assommants et bêtes. Il m'attira au Victoria & Albert Museum, à la National Galery, dans plein d'autres lieux où nous nous gavions d'art et de beauté. Mais l'endroit où nous préférions nous rendre, c'était à Kenwood House, sur les hauteurs de Hampstead, non loin de là où se trouvait notre école et où nous vivions. Les cours avaient lieu le matin et les après-midis nous appartenaient. nous étions censés monter à cheval ou jouer au tennis. Nous y allions parfois, mais cela avait trop un air familier et notre séjour à Londres loin de nos familles, nous le voulions unique, différente et ardent. Un après-midi, je me souviens du temps merveilleux qui régnait sur l'Angleterre. les oiseaux chantaient dans les arbres et l'air embaumait comme à la campagne. Olivier était venu me chercher pour aller chez lui. Nous nous retrouvions souvent dans sa chambre, plus grande que la mienne. il logeait chez un vieux couple dont le fils était militaire en Allemagne. Olivier occupait sa chambre. Il pouvait se servir de l'électrophone du jeune officier absent et nous adorions ses disques. C'est là que j'ai découvert Tallis, Purcell, et tant d'autres musiques que je n'avais pas encore l'habitude d'écouter chez moi, accompagnant peu mes parents aux concerts. Ce jour-là donc que je revois clairement aussi bien que résonnait la voix de Teresa Stich-Randall tout à l'heure, Olivier avait mis un vieux disque de cantates de Telemann. La magie de la musique, la douceur de l'air qui pénétrait par la fenêtre entrouverte, la lumière que voilait le store baissé, tout est resté dans ma mémoire. Je ne sais comment, par quel détour de la conversation, nous étions arrivés à parler d'amour et de plaisir. Olivier était plus expérimenté que moi. il connaissait déjà l'amour pour l'avoir expérimenté quelques fois. je me contentais de plaisirs solitaires où l'objet de mon désir variait selon des critères que j'aurai été bien en peine de définir. La voix magique enrobait nos propos d'un halo de sensualité et de paix qui nous gagnait peu à peu. Je ne sais comment, mais je me retrouvais couché sur le lit avec Olivier pratiquement sur moi en train de m'embrasser sur la bouche. Bien vite nos langues se mêlèrent et je goûtais pour la première fois à une volupté sans pareille. Nos vêtements s'éparpillèrent dans la chambre et nos deux corps se trouvèrent, deux épidermes lisses et fermes qui semblaient se fondre l'un contre l'autre. Notre plaisir éclata bien vite. Ce fut bien innocent, je ne savais rien encore des jeux et des gestes de l'amour sauf ceux que l'instinct m'avait dicté sur ce lit avec cette musique divine de Telemann. Olivier repu s'était étendu sur le dos. Nos flancs se touchaient. Je regardais au plafond les rayons de soleil qui se faufilaient à travers les bandeaux du store. Il avait un bras sous ma nuque et sa main caressait mon épaule. La musique s'arrêta. Nous sommes restés couchés ainsi, sans bouger, sentant les gouttes de notre semence glissait sur notre peau, écoutant les bruits du dehors, le chant des oiseaux, une moto, la tondeuse d'un voisin... Moment de plénitude heureuse. nos corps nus ne nous encombraient pas, nous ne ressentions aucune gêne, aucun regret non plus. Je me souviens qu'Olivier se haussa sur son coude en dégageant son bras et penché sur moi me regarda avec un sourire. Nous avons éclaté de rire. un rire de contentement et d'affirmation de soi. Nous n'avions pas eu peur. Nous étions des hommes et nous étions fiers de notre plaisir et de cette lutte de demi-dieux. Je me levais soudain pour remettre le disque. La musique de Telemann retentit à nouveau dans la chambre. Notre ardeur semblait vouloir se réveiller et nos sexes dressés nous entraîner vers de nouvelles joutes. Des bruits dans la cuisine nous forcèrent à descendre de notre nuage pour aller prendre le thé...
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