Parfois, au début de notre liaison, quand nous ne vivions pas encore ensemble, que Mark partageait une piaule sur le campus de son université avec Leonard puis avec Vince et que j'occupais l'appartement du sixième, petit, débordant de livres et de disques, nos nuits communes étaient un évènement, une fête illuminée par la passion. Nous nous retrouvions les week-ends où Mark ne rentrait pas chez ses parents à Baltimore, souvent aussi, il me rejoignait chez moi. Le concierge avait compris qui nous étions l'un pour l'autre et son sourire complice nous amusait. Puis j'avais donné une clé à Mark. C'était rarement pour la nuit. Plutôt l'après-midi. Nous sautions des cours où lors d'un entraînement terminé plus tôt. Il était soudain devant moi, avec son sourire magique et nous nous aimions jusque tard dans la soirée... Au début, je le rejoignais sur le campus. Il me prévenait quand son room mate était absent. Leonard rejoignait souvent sa Lisa sa petite amie de l'époque - devenue sa femme depuis - dans sa chambre à Barbnard. Je me souviens de notre première fois. La chambre, pareille à un décor de films pour adolescents, des livres partout, des fanions de l'Ivy League, le plaid écossais sur le lit, les posters... Mark avait posé un t-shirt bleu sur l'abat-jour près de son lit et mis des bougies sur le bureau... En d'autres cas, d'autres lieux, j'aurais trouvé tout cela un peu outré, voire ridicule... Trop souvent les amours viriles refusent de s'encombrer de fanfreluches. Ni Mark ni moi ne sommes du genre "pussy", "bugger" ou "friends of Dorothy". La tendresse éprouvée l'un pour l'autre n'a jamais étouffé notre virilité. Un ami parisien, très féminin, qui parle d'un de ses nombreux fiancés - caricature ou archétype du gay des années 2000 - en disant "ma femme" ou "mon mari" selon les circonstances, me reprochait d'aimer les garçons comme un boy-scout. Je revendique, même à quarante ans passés ! Tendresse, sensualité mais virilité toujours.
D'où notre difficulté à comprendre le discours victimaire anti-amour des LGBT and co d'aujourd'hui. Leur doxa imposée : non seulement le placard est une honte, une injure faite aux homos qui s'assument et souffrent parfois le martyre, mais l'attirance pour les personnes du même sexe induit que l'attiré est une anomalie puisque sa vraie nature est féminine. Il doit donc de considérer ni mâle ni femelle, mais autre ou pire, il est une femme, donc il doit envisager de se faire opérer... Je sais, je caricature. Pourtant, cette obsession de la déconstruction et cette obsession de sacraliser la victimisation semble nous conduire dans le mur, celui que dressent la haine et l'hypocrisie...
Mais revenons à notre première fois, complète, sur le campus de Columbia... Tu m'attendais, assis sur ton lit. A peine revenu de la douche, simplement vêtu d'un slip blanc et d'un t-shirt. Tu essuyais tes jambes où couraient encore quelques gouttes d'eau ; tes cheveux mouillés bouclaient et te tombaient sur les yeux. Quand je suis rentré, tu as levé les yeux et tu m'as souri. Ce sourire, je le vois chaque jour plein de fois mais c'est toujours un bonheur de sentir qu'il m'est adressé et qu'il me dit mille mots d'amour... J'avais devant moi l'Amour et la Beauté !