"Je suis tombé amoureux du monde entier le jour où j’ai rencontré ton regard souriant." (Germont)
"Pour vivre harmonieusement, il faut trouver la distance appropriée entre soi-même et ce qu'on vit. C'est même la condition première de toute action réussie. En se détachant légèrement de ce qu'on entreprend, ni trop ni pas assez, on garde constamment la capacité de le corriger, de l'adapter et ainsi de le mener à bien... Cet espace par lequel nous pouvons respirer, laisser passer..." écrivait un écrivain méconnu que j'ai souvent lu.
Dans le blog en langue anglaise que, dans une autre vie, j'ai longtemps tenu, mon double - plus terre à terre qu'Hadrianus - envisageait cette distance dans laquelle s'immiscent sensations et sentiments, comme condition sine qua non à toute réflexion et par là à toute mutation des idées et des actions. Qu'on le nomme souffle, respiration, allitération, liberté, vérité ou changement, voire même retour aux sources, cet espace peut-être aussi de l'amour...
Voyez cette "distance imperceptible et pourtant nécessaire entre la main amoureuse et la peau qu'elle caresse, entre le souffle ardent et les lèvres s'entrouvrant doucement pour le baiser. Quand l'amour passe ainsi entre deux êtres, l'harmonie est indestructible. Entre les deux corps et âmes qui se chérissent, l'espace n'est que la possibilité enivrante de se rapprocher pour s'unir."
Ces notes retrouvées par Mark dans un vieux cahier Clairefontaine acheté en France, j'en vérifie la vérité de plus en plus au fur et à mesure que je vieillis (que nous vieillissons lui et moi et les autres autour de nous)... Largement inspirées par trois ouvrages qui ne quittaient pas mon chevet dans mes premières années américaines : Tonio Kröger de Thomas Mann, La Part de Fragilité de Germont et Le Plaisir Solitaire de Bernard Delvaille, je pourrais les écrire de nouveau en me regardant vivre ma vie d'aujourd'hui. Propos bien sérieux sur un site consacré à la beauté et à l'amour des garçons penseront certains lecteurs peu attentifs. Mais d'autres auront compris ce qu'essaie d'exprimer. Ils me lisent depuis plus de quinze ans et nous avons vieilli ensemble.
Comme ces trois auteurs auxquels je m'identifie souvent - humblement et sans forfanterie ni prétention - ne s'agissait-il pas d'oublier mon trouble face à ma propre nature. Que pouvais-je faire d'autre, en effet, contre l'attirance que j'éprouvais en voyant certains garçons dont la beauté me séduisait plus profondément que celle des femmes ? J'avais longtemps refusé de céder à ces attirances. Pas envie en tout cas qu'elles soient au centre de ma vie et la perturbe. Je l'ai écrit à plusieurs reprises, mon éducation assez rigoriste, le monde dans lequel j'avais grandi, la force du regard des autres auquel j'étais soumis tout entier, ne me préparait pas à braver une hostilité encore largement répandue, surtout dans les milieux que je fréquentais alors.
Et puis il y eut l'université. Paris puis l'Angleterre et enfin l'Amérique. Et les choses changèrent. Les garçons me souriaient. Les premières aventures furent des suites joyeuses, ardentes et simples. Ils étaient sains d'esprit et de corps, leur virilité assumée autant que leurs penchants sexuels. Vivre à la manière de tous les autres sur le campus comme avant au collège en Angleterre, me rassura et me facilita les choses. J'acceptais cette différence que Mark définit avec beaucoup d'à-propos comme un complément, un supplément d'âme. il dit "supplémentation" .
Mais assez philosophé. Ce dimanche tranquille, je préfère le partager avec vous, fidèles lecteurs, avec de la poésie. L'empereur convoquait souvent les poètes qui tous chantaient son amour pour Antinoüs mais aussi la beauté virile et tendre des garçons, qu'ils soient libres ou esclaves, amis ou amants à la cour impériale.
Ah ! ces temps où la bêtise et l'obscurantisme ne réduisaient pas l'existence, les idées et les mœurs à un amas grossier et sans nuance aucune. Cet esprit binaire qu'on essaie ici comme partout ailleurs de nous imposer et que la jeunesse absorbe sans aucun esprit critique, effrayé à l'idée d'être le produit type du capitalisme, terriblement trop blanc, hétéronormé - un comble pour quelqu'un qui vit fidèlement une union avec un garçon - universaliste et occidental...
Pour me faire pardonner ce qui pourrait paraître comme un hors-sujet aux yeux des lecteurs du blog, ces vers écrits par un jeune poète dans les années 80 : "La Ballade de la Beauté Originelle" :
Dieux mystérieux qui veillâtes sur mon enfance,
Fidèle Isis dont la sagesse sut préserver
Votre frère bien-aimé, et vous, plus ancien et savant,
Ptah, créateur des mots de vie sur les tombes illuminées,
Et vous, maître du Double-Pays, Amon-Rê,
Qui éclairez les villes enfouies et les peintures bienheureuses,
Les premiers vous m’enseignâtes qu’au bref soleil de son éternité
L’homme est le plus beau des dieux.
Premiers symboles de mes jours, dieux de la Grèce souriante,
Vous rêvez à la terre du haut de vos palais éthérés.
C’est pour les mortels que résonnent vos doux chants,
Amoureux Apollon, ce sont des mortels que vous jalousez,
Héra trop pure et trop hautaine, et vous pleurez
Les doux baisers d’un amant périssable, déesse malheureuse,
Invincible Aphrodite, qui savez que dans sa fragilité
L’homme est le plus beau des dieux.
Vous-mêmes, divinités de Rome austère et conquérante,
Avez succombé à la nostalgie de l’homme éternisé
Et reproduit le charme de sa trouble apparence.
Mercure, maître de mon signe, vous êtes le messager
De l’effrayante mort que la vie a engendrée.
Mais c’est vous aussi qui ramenez vers le jour bienheureux
Ceux qui ont trop aimé, car dans cet oubli émerveillé
L’homme est le plus beau des dieux.
Destin, que la mort soit la pierre angulaire de notre éternité.
Accorde-nous d’être dignes de l’humain visage du Seigneur
Et d’éprouver enfin que dans son bonheur retrouvé
L’homme est le plus beau des dieux.