... Je me souviens de chacun de nos gestes de cette première fois tant désirée et tant de fois remise... Je me souviens quand il prit ma tête de ses deux mains la haussant jusqu'à ses lèvres, couvrant de baisers mon visage mouillé par la sueur, se plongeant jusqu'aux yeux dans ma chevelure touffue... Entraînés par ce jeu haletant, nous nous sentions chacun à la fois envahi et dominant. La vie bouillonnait en nous, plus forte que jamais, avec son goût de sueur et de sang. Comme si d'avoir si longtemps attendu, hésité avait accru en nous, jusqu'à la folie, le goût de jouir. Ce moment d'amour tendre et violent en même temps était la célébration et l'accomplissement de notre jeunesse, de la virilité de nos jeunes corps, la démonstration de notre force et l'explosion d'une évidence pressentie jaillissant enfin dans le plaisir partagé.
Une grimace de désir intense, presque méchant élargit la figure de Mark, il souhaitait que je le possède. Il retenait son souffle, m'interrogeait du regard. Nous avions à plusieurs reprises évoqué nos visions du sexe, de nos envies et de nos expériences. J'ai toujours été réticent face à la pénétration. Par atavisme religieux peut-être, elle me paraissait naturelle avec la femme, puisque nos corps différents et complémentaires ont été créés pour la reproduction, pour donner la vie et assurer notre immortalité. Pénétrer un garçon, jouir dans son cul ou dans sa bouche ne m'est pas naturel. La souffrance pour celui qui est pénétré, si elle laisse physiologiquement rapidement la place au plaisir, n'en demeure pas moins pour moi une grande violence contre-nature ou anti-nature. Mark, élevé dans la rigueur méthodiste, partageait mes réticences. Nous avions chacun eu des filles, apprenant à chaque fois un peu mieux les besoins et les réactions de cette partie de notre corps dont on ne parle pas, qu'on cache mais que tous les garçons vénèrent autant qu'ils la rejettent et souhaitent l'oublier, surtout dans les débuts, lorsque l'éros s'empare de nous. Nous n'avions jamais connu la sodomie, "ni top ni bottom" était notre credo. Notre définition de l'amour physique...
Mais ce soir-là, dans cette petite chambre du campus, nos corps aimantés s'ouvraient à tout, tellement fort était notre désir de l'autre. Je cherchais mon chemin. Je souris à mon tour et dans une longue embrassade, les mollets de Mark appuyés sur mes épaules, de tout mon poids, de toute ma dureté onctueuse, je pénétrais en lui. Mais ce fut lui qui, comme une femme, conduisit la bestiale oscillation des corps, ralentissant le rythme en retenant mes hanches ou l'accélérant suivant son exigence, jusqu'à l'instant où nos têtes volèrent en éclat. Il poussa un long gémissement et notre jouissance éclata en même temps... après les Doors, la musique qui accompagna l'explosion heureuse de notre première fois venait d'un vieux disque que Mark avait pris chez ses parents, "Accentuate the positive" interprété par les Andrews Sisters... leurs voix accompagnèrent souvent - et accompagnent parfois encore - nos jeux amoureux.
Bon dimanche à mes lecteurs francophones et aux anglophones d'ici et d'ailleurs. Gardez précisément le souvenir de vos premières fois. Cela console un jour, cela aide toujours à ne jamais cesser d'aimer, à résister à l'idée qu'il y a toujours mieux que ce qui nous est donné.